OPERA – C’était un spectacle en deux parties : Rivoluzione e Nostalgia, que présentait le théâtre royal de La Monnaie en ce début du mois d’avril. Un pastiche à partir d’extraits d’opéras de jeunesse de Verdi composait la matière musicale d’une vaste fresque lyrique autour de l’héritage de mai 68. Une réflexion sur le temps qui passe, sur notre rapport aux événements historiques et la relation intime que nous entretenons avec l’opéra, proposée par le metteur en scène, polonais formé à Amsterdam, Krystian Lada et par le chef d’orchestre italien Carlo Goldstein.
Jour 2 : Nostalgie
Le lendemain, nous bravions un dimanche ensoleillé d’un premier week-end printanier pour retourner à La Monnaie, point de départ d’une révolution, celle de 1830 contre l’occupant néerlandais, désormais au cœur d’un vaste supermarché à ciel ouvert. Nous retrouvions les protagonistes quarante ans après, pour un second volet de retour sur les événements passés.
« Révolutionnaire à 20 ans, conservateur à 60 »
Ce dimanche, nous nous enfermions à l’Opéra pour entrer dans le temps, non plus de l’action dramatique, mais celle du souvenir, voire du retour du refoulé. Dans cette deuxième partie de Rivoluzione e Nostalgia domine entre autres l’idée avancée par Hannah Arendt selon laquelle « le révolutionnaire le plus radical devient un conservateur dès le lendemain de la révolution ». Au guichet d’accueil du théâtre, on explique que les deux heures qui vont suivre sont plus mélancoliques que celle de la veille. Il faut dire que les ouvreuses nous reconnaissent et que nous avons déjà l’impression de faire partie de la maison. Si l’opéra n’est en général pas le lieu symbolique des révolutions, il sait les accompagner, quand bien même ces révolutions seraient conservatrices. Haut lieu des révolutions lyriques, La Monnaie a été, rappelons-le, le point de départ d’un soulèvement général, après que le public s’est trouvé échauffé par l’air de La Muette de Portici de Daniel-Esprit Auber « Amour sacré de la patrie ». De cette révolution somme toute modérée est demeurée la devise inscrite en lettres d’or au-dessus de la scène du théâtre lyrique royal : S.P.Q.B. Senatus Populus Que Bruxellensis.
l’Histoire sans fin…
Les personnages très bien campés et l’on assiste à une véritable mise en abyme de la condition de l’artiste. L’idée géniale de la distribution a consisté à faire vieillir les personnages : tout le monde est descendu d’un registre. Carlo est devenu baryton (Scott Hendricks), Giuseppe basse (Giovanni Battista Parodi), Lorenzo ne fait que parler (Dennis Rudge) et Laura joue du violon (émouvante prestation de Saténik Khourdoïan). Trois nouveaux personnages : Donatella (soprano, Helena Dix), Virginia (soprano, Gabriela Legun) et Icilio (ténor, Paride Cataldo). Et donc, quarante ans après, que reste-t-il des idéaux de la révolution ? La jeune artiste Virginia, fille de Cristina, s’interroge quant à l’identité de son père biologique (Carlo, Lorenzo, Giuseppe, elle a le choix). Suivent après ce prologue en trois actes et un épilogue, pour un ensemble plus ramassé que le premier volet. Les artistes ont mauvaise conscience de travailler pour les bourgeois capitalistes. Lorenzo reprend les anciens chants révolutionnaires au piano tandis qu’on règle les comptes d’antan (la mort de Cristina, pomme de discorde entre Giuseppe et Carlo). Virginia reconnaît Carlo comme étant son père. L’exubérante Donatella se livre à un bel exercice de mise en abyme, joue une scène de folie, on ressort les fantômes du passé, Laura apparaît à Carlo, qui rejoue la scène de folie du héros de Macbeth. Le spectre de Laura joue du violon sur les ruines des anciens idéaux. Chacun se renvoie la responsabilité de son suicide.
La fin de l’Histoire, vraiment ?
Ce deuxième volet de Rivoluzione e Nostalgia, « post-dramatique », « jamais linéaire », au dire des concepteurs du projet, propose « trois versions possibles d’un même fait ». « L’orchestre est presque un personnage du récit ». Notons le rapport à l’entertainment : les barricades sont figurées ici dans une mise en scène de la jeunesse d’aujourd’hui et ses danses de rue qui ouvrent et referment chacun des deux volets du spectacle. La chorégraphie est signée Michel Vandevelde.
Giuseppe Verdi, dont le nom s’est vu transformer en un célèbre acronyme, en savait quelque chose : l’opéra peut accompagner, souligner en contrepoint les grands mouvements populaires. Il ne porte toutefois pas forcément le progressisme dans son ADN. La transformation du genre lyrique mise en place par Verdi dans ses opéras de jeunesse est lente et profonde. La critique que nous pourrions formuler contre ce spectacle, c’est qu’on se lasse des flonflons pouêt-pouêt de Verdi.
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La musique sélectionnée n’est en soi pas toujours très intéressante et l’intérêt de suivre l’évolution de Verdi, par rapport à l’opéra italien des années 1830 et 1840, c’est notamment de le voir développer une dramaturgie musicale de plus en plus efficace. Des morceaux musicaux coupés, donc, de leur origine dramaturgique, comme s’ils avaient été conçus hors sol. Malgré tout, l’ensemble se tient parfaitement et l’on apprécie de terminer en communion par le chœur des esclaves de Nabucco.