AccueilA la UneIvan le stupéfiant, à la Philharmonie de Paris

Ivan le stupéfiant, à la Philharmonie de Paris

CONCERT – Emmenés par un Pablo Gonzalez des grands soirs, l’Orchestre national d’Île-de-France et le choeur Stella Maris ont donné, mardi 10 janvier, la musique d’Ivan le Terrible, de Serge Prokofiev, pour le film éponyme du réalisateur Serge Eisenstein. Une démonstration musicale magistrale pour une œuvre trop rarement donnée en concert.

150 ans de musique politique russe

Force est de constater que les oeuvres russes n’ont pas nécessairement le vent en poupe actuellement. On ne peut pourtant s’empêcher de trouver de singulières résonances avec l’actualité, à l’écoute de ce récit d’un homme prêt à tout détruire pour l’unification d’une
Russie toute puissante…


Cet Ivan le Terrible devait être une trilogie. Toutefois le deuxième volet du film fut censuré par Staline ; et Eisenstein mourut avant d’en réaliser la dernière partie. Ce premier opus s’ouvre sur le couronnement d’Ivan Vassilievitch, désormais tsar de Moscou – et premier tsar de toutes les Russies-, qui proclame sa volonté de lutter contre les ennemis extérieurs et intérieurs du pays. S’en suivent révoltes des boyards, campagnes militaires contre Kazan et empoisonnements à la cour.

Composer sur un sujet politique durant l’ère stalinienne pouvait avoir un impact considérable sur l’espérance de vie. Chostakovitch en fit les frais, passant des ors du Kremlin à la disgrâce et à la peur du goulag. Prokofiev, ayant émigré aux Etats-Unis en 1918 pour ne revenir en URSS qu’en 1933, et déjà taxé d’avoir un style «bourgeois », était donc sur un terrain miné. Ayant composé la musique de huit films, dont les deux derniers furent ceux d’Eisenstein, il réussit toutefois ici une synthèse magistrale de 150 ans de musique russe politisée. Les airs populaires des choeurs féminins rappellent furieusement la première danse povoltsienne du Prince Igor de Borodine. La tension d’un Moscou prêt à s’embraser donnent une impression similaire à la première partie de l’Oiseau de
feu de Stravinsky. Enfin, la dévotion populaire dépeinte des moscovites pour leur souverain évoque certaines des plus belles pages de la Khovantchina de Moussorgski.

Une partition légèrement remaniée

La partition en elle même n’est toutefois pas exactement celle du film. Prokofiev ne put jamais la retravailler pour un faire une version de concert et elle demeura intouchée jusqu’à sa mort, en 1953 (le même jour que Staline !). Toutefois, à l’occasion de l’anniversaire des 70 ans de sa naissance en 1961, le chef d’orchestre de la création de la musique du film, Abraham Stassevitch, réalisa finalement une partition de concert, en en reprenant les meilleurs moments, auxquels fut ajouté un récitant parfois seul, parfois accompagné par l’orchestre et les choeurs. A la direction ce soir là, Pablo Gonzalez est précis et analytique, pour un résultat souple et en relief.

Pablo Gonzales

L’alchimie opère avec l’orchestre national d’Île-de-France, dont l’effectif ce soir avoisine les 100 musiciens, et le résultats est tantôt tonitruant, tantôt intimiste, parfois tendu et souvent grandiose. En dehors de deux légers problèmes de synchronisations des violons dans les parties les plus facétieuses de la partition, le tout est précis dans l’exécution. De même, le choeur Stella Maris est bien préparé et tiens tête à la phalange. La prononciation du russe n’est pas toujours excellente mais les voyelles sont claires et toutes les nuances du chefs sont exécutées à la lettre. Les effectifs masculins, trop peu nombreux, – 32 chanteurs- peinent toutefois à se faire entendre face à un orchestre déchainé dans l’un des derniers chants guerriers.

À lire également : Moussorgski et Rachmaninov, deux princes russes
Rachel Wilson ©ONDIF

La mezzo-soprano américaine Rachel Wilson déploie quand à elle une tessiture étonnante. A l’aise dans les aigus -elle est habitué aux rôles de mezzo légère, limite soprane-, ses graves feraient pourtant pâlir plus d’une contre-alto. La projection est très bonne sur l’ensemble de sa tessiture et si l’articulation du russe n’est pas toujours impeccable, cela est compensé par une intelligence musicale remarquée ainsi qu’une bonne longueur de phrasé.

La basse Ivo Stanchev se retrouve quand à lui confronté à une situation cauchemardesque pour plus d’un chanteur. Seulement présent trois minutes sur scène, il doit composer avec un orchestre lancé à plein régime et répondre à un choeur sur un air folklorique. Il
prends toutefois le défi à bras le corps dès son entrée en scène d’un pas conquérant, et fait état d’une très grande présence scénique ainsi que d’une bonne projection. Son timbre dramatique est certes parfois légèrement recouvert par l’orchestre mais il conserve une intelligence rythmique très slave qui convient fort bien à son air.

L’Orchestre National d’Île-de-France à la Philharmonie de Paris ©ONDIF

A une oeuvre éclatante, répondent des applaudissements retentissants pendant près de 10 minutes et trois rappels. Gonzalez a visiblement fait sienne cette ultime phrase du premier tsar de toute les Russies : « Au nom du Seigneur -en l’occurence, Prokofiev- j’accomplirai de grandes choses ».


Le concert est à retrouver le jeudi 12 janvier au Centre des Bords de Marne
au Perreux-sur-Marne (94) et le dimanche 15 janvier à l’Onde de
Velizy (78).

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