CONCERT – Au cours d’une soirée placée sous le signe du numéro 5, avec le concerto pour piano n°5 de Beethoven ainsi que la 5ème symphonie de Mahler, et donnée deux jours avant à la Halle aux grains de Toulouse, l’orchestre du Capitole et son ancien directeur musical redonnait à nouveau le même programme en compagnie de Rudolf Buchbinder.
Paris a beau être la capitale de la mode, celle des démissions surprises des directeurs musicaux a pourtant commencé à Toulouse. Si le chef ossète avait quitté la ville rose aux prémices du conflit russo-ukrainien, la phalange ne lui en tient manifestement pas rigueur.
Buchbinder ou la charme exquis des piani
En donnant le concerto pour piano n°5 dit « Empereur » en ouverture de la soirée, l’orchestre toulousain annonçait clairement la couleur de ses ambitions, dont la réussite dépendrait toutefois en grande partie du pianiste invité, Rudolf Buchbinder.
L’ouverture est effectivement flamboyante, et les arpèges fusent avant de laisser place à une discrétion maîtrisée au piano. Par moment, la netteté est toutefois moins éclatante et l’on se demande si le musicien, qui a déjà dirigé cette œuvre tout en la jouant, n’est pas sensiblement frustré par le tempo adopté par le chef.
Cependant, dès que viennent les passages piani, les interrogations se dissipent instantanément tant ces derniers recèlent des trésors de délicatesse. Ainsi aux les premières mesures de l’adagio, les notes chatoyantes et feutrées s’échappant du Steinway baignent la salle. Plutôt que dans les démonstrations de force, c’est en effet surtout dans ces passages plus raffinés que Buchbinder démontre l’étendue de son talent ; et qu’il a alors tout le loisir de construire le dialogue avec la phalange.
Pour lui répondre, l’orchestre s’attache justement à la mise en valeur mutuelle, et déploie des trésors de netteté. Le relief n’est pas en reste, et la gestuelle très expressive de Sokhiev est remarqué
Très applaudi dès la fin du concerto, le pianiste donnera deux bis seul. Un impromptu de Schubert – op 90, n°4 : ici s’arrêtera donc l’hégémonie du chiffre 5 ce soir-, suivi d’une pièce de Bach.
Cinématique 5ème
Certaines œuvres musicales connurent un succès immédiat et accèdèrent instantanément à la postérité. Tel ne fut toutefois pas le cas de la 5ème symphonie de Mahler au sujet de laquelle le compositeur aurait déclaré lors de sa première en 1904 : « Personne ne l’a comprise, je voudrais diriger la première performance 50 ans après ma mort ». Et la 5ème tomba effectivement dans l’oubli.
Elle réemergea toutefois en 1971, non pas par l’intermédiaire d’un musicologue mais bien d’un cinéaste, puisque son adagietto fut utilisée par Visconti dans une séquence mémorables de Mort à Venise. Plus récemment ce fut encore par l’intermédiaire du grand écran qu’elle regagna en popularité, puisqu’elle servit -notamment avec sa marche funèbre- de toile de fond pour l’intrigue du film Tar.
Quiconque a entendu une fois la cinquième comprend aisément cette fascination tant la palette des émotions traversant l’auditeur est grande. Après les 13 mesures de fanfare du trompette solo, succède ainsi une mémorable décharge d’adrénaline puis, notamment, une profonde mélancolie durant l’adagietto avant un tourbillonnant optimiste durant elle rondo-finale. Cette même 5ème avait d’ailleurs durablement marqué les murs de la Philharmonie avec un autre chef russe : Valery Gergiev, qui en livra une version mémorable à la tête du Münchner Philharmoniker le 7 février 2020.
Plaisir des yeux, tempi pâteux
Ce soir toutefois, si la cinquième aura bien des allures de montagnes russes, cela sera aussi du fait de la performance. Si pendant la première minute, l’on est effectivement scotché sur son siège, le paysage s’assombrit bien vite, et l’orchestre devient vite trop brouillon, le son des cors devient bourru, et certaines attaques compensent par l’agressivité ce qu’il manque de précision. On finirait presque par se demander si cette marche funèbre n’est pas pour le premier mouvement.
Cela s’explique probablement par la gestuelle du maestro qui, a force d’expressivité, finit par basculer dans l’impressionnisme. Peut être à force de diriger d’autres phalanges -telles les Berliner et les Wiener, autrement plus rompues à ce genre de répertoire-, a-t-il oublié que dans les aspects les plus tonitruants de la Trauermarsch, il lui incombe de fournir des indications rythmiques claires et précises aux musiciens qui ne peuvent parfaitement jouer seuls dans un tel niveau sonores.
Le problème semble toutefois se résorber dès le deuxième mouvement qui bénéficie, si ce n’est de l’effet de contraste, d’une gestuelle nettement plus précise. L’orchestre (porté ce soir-là par des solistes remarquables d’investissement à l’instar de la chef d’attaque des seconds, Audrey Loupy) monte progressivement en puissance et les cinq ou six dernières minutes sont simplement exquises.
Pour le troisième mouvement, à la rythmique plus marquée, la phalange ne relâche pas la pression et livre un résultat tout en relief et en souplesse. L’utilisation du silence est précise et efficace, et les multiples soli du cor solo font mouche – il sera logiquement très applaudi à la fin, à l’instar du trompette solo-. Vient ensuite l’adagietto, sensiblement plus terrien, sans qu’il soit possible de savoir si cette baisse de rendu est due à l’augmentation des nuisances sonores du public, ou si ces dernières sont la conséquence de cette baisse.L’ultime partie, pourtant redoutable, commence bien avant de finir en apothéose. A en juger aux applaudissements sonores et enthousiaste, le public de la Philharmonie aura su garder le meilleur de cette soirée.