CONCERT – Sacrée soirée que celle programmée pour l’ouverture du festival Musiques Vivantes, dans l’Allier. Un récital dédié à l’art lyrique…sans chanteur lyrique. Une hérésie ? Un bonheur, au contraire. Et l’occasion d’entendre un clarinettiste de talent : Florent Héau
« Héau, ça suffit !» Aurait-il donc fallu un jour que quelque maître vienne ainsi rappeler l’impertinent instrumentiste à l’ordre ? Concocter une soirée dédiée à l’opéra sans un seul chanteur, quelle drôle d’idée ! Oui mais voilà, elle est bien loin, l’impertinence, avec le clarinettiste Florent Héau. Car il est bien davantage question de talent et de virtuosité à l’évocation de celui à qui revient l’honneur, dans la charmante petite église de la commune bourbonnaise d’Ebreuil, d’ouvrir le millésime 2023 du festival Musiques Vivantes. Un rendez-vous itinérant ancré dans l’agenda local depuis pas moins de 39 ans, qui voit naviguer d’église en parcs et jardins des chanteurs et instrumentistes de tous horizons, ayant pour point commun un égal talent et une même envie de faire vivre la musique dans des cadres intimistes où le public est à portée de bras (et de souffle).
L’opéra, clair et net !
Et de souffle, en voilà un qui n’en manque donc pas. Tout comme il ne manque pas d’air pour proposer ainsi un menu lyrique baptisé « Une soirée à l’opéra » servi par l’emploi de sa seule clarinette. Osé ? Épatant, surtout. Car l’effet opère dès les premières notes, censées plonger l’auditoire dans un sacré morceau du répertoire lyrique : le Rigoletto de Verdi, ici évoqué par une fantaisie signée Luigi Bassi (connu pour avoir adapté au XIXème nombre d’œuvres lyriques à l’usage de son instrument fétiche : la clarinette, évidemment). Et c’est bien simple : soudain pris au jeu par l’effet de sonorités capiteuses et envoûtantes, l’on en vient soudain à se croire en compagnie d’un Rigoletto déchiré, d‘une Gilda éplorée et bien évidemment d’un Duc plus libertin que jamais. D’un jeu exquis et tout en maîtrise, voici que la clarinette se met à chanter, ici de manière guillerette en évoquant l’amour (« Bella figlia del amore »), là de façon plus solennelle en décrivant le désespoir (« Parmi veder le lagrime »). L’opéra de Verdi, le grand opéra, se chante-t-il seulement ? Il se joue aussi, visiblement, et avec un réel bonheur pour des oreilles gâtées qui apprécient tout autant le solo de l’acte III de la Forza del Destino du même Verdi, interprété telle une sonatine au coin d’un feu chauffé au bois, évidemment.
De Fantaisies en Caprices
Ainsi, après être parvenu à s’éviter toute prise de bec avec son public finalement vite conquis par ce récital d’opéra pour le moins atypique, voici que l’instrumentiste le gratifie ensuite de fort jolies variations de Carl Maria Von Weber (dont on sait l’appétence pour la clarinette) sur son opéra Silvana, avant de lui servir un tourbillon rossinien riche en fibre lyrique. Là encore l‘instrument se substitue gaiement à la voix pour faire honneur au bel canto, ou plutôt au bel gioco, tant le jeu du soliste se fait une nouvelle fois pleinement expressif, jouant d’élasticité et d’amplitude pour décrire parfaitement le style feu follet d’un compositeur qui n’aurait sans doute pas renié telle réinterprétation de sa Donna del Lago (et de son fameux air « Oh quante lagrime »).
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Puis, parce que l’audacieux instrumentiste aime aussi l’art du caprice, en voilà donc un, de Capriccio, signé d’un Ernesto Cavalini qui, en son temps (le XIXè) se faisait surnommer le « Paganini de la clarinette », rien que cela. Et Florent Héau serait-il lui un Pavarotti en puissance ? C’est un artiste étonnant en tout cas qui, bien sûr, ne peut pas proposer un programme lyrique sans y convier Carmen ! Et voici donc, au travers d’une Fantaisie de Pablo de Sarasate adaptée à la clarinette par le plus contemporain Nicolas Baldeyrou, que surgissent soudain la magnétique Carmencita, le fougueux Don José et le toréador Escamillo.
Passe-partout, trop fort (Boyard ?) !
En véritable maître des clés, celle de son instrument, le showman du soir s’empare énergiquement de ces danses et autres séguédilles qui font le sel de l’oeuvre de Bizet, jouant de trilles et de glissandi pour amener son auditoire à Séville, aux portes de l’arène, à presque sentir le souffle des taureaux. Et la chaleur andalouse se fait si forte que l’artiste en vient à ôter un bout de son instrument, puis deux, puis trois, pour finir sa Habanera façon pipeau, ou plutôt appeau (pour mieux dompter l’amour, cet oiseau rebelle ? ). Une ultime facétie pour clôturer un spectacle dont la qualité doit beaucoup aussi à la performance impeccable du pianiste Nicolas Dessenne, parfait partenaire tant pour jouer l’homme-orchestre que pour donner le tempo au besoin, et apporter tout son sens de la musicalité au service de ce répertoire lyrique revisité. Un concert sans chant mais d’où l’on ressort…enchanté !