CONCERT – En ouverture de saison, la Philharmonie accueillait l’iconique phalange berlinoise, accompagnée de son inénarrable directeur musical. Retour sur une soirée d’anthologie ayant permis à chacun d’apprécier l’étendue de leurs talents.
Comme un air de Grand Soir
Faire venir les Berliner à Paris n’est pas une sinécure et impose de composer avec une triple contrainte. Budgétaire tout d’abord, car faire venir la formation a un coût certain se répercutant logiquement sur le prix des places – 150 euros en première catégorie, pour 76 minutes de musique soit le taux horaire le plus élevé de la saison ; mais quelle musique ! Calendaire ensuite ; puisque contrairement au rival viennois dont l’orchestre est sous-divisé en deux pour assurer une tournée à l’international en parallèle de la saison viennoise, les Berliner ne forment qu’une unique phalange : il faut donc faire en dehors de la saison berlinoise, d’où la date particulièrement précoce et peu propice au remplissage. Musicale ensuite, Petrenko ne dirigeant que ce qu’il veut diriger.
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Conséquence logique, le public fait l’objet d’une sélection naturelle et la philharmonie n’est, ce soir-là, pas tout à fait complète. On y croise pourtant le tout-Paris musical. Musiciens des grands orchestres locaux, solistes, compositeurs, critiques, agents d’artistes, mélomanes, cadres des institutions parisiennes et anciens ministres de la culture ont tous fait le déplacement. Si la salle Pierre Boulez jouit d’habitude du public francilien le plus discipliné, il convient d’ailleurs de souligner qu’il atteint à cette occasion une concentration et un silence inégalé ; conscient certainement du caractère exceptionnel du moment.
Puis, après une rapide entrée en scène un accordement en moins de dix secondes -record à battre-, le concert commence. La tournée des Berliner proposait cet été deux programmes alternatifs. L’un dédié à Johannes Brahms, Arnold Schoenberg et Ludwig van Beethoven et donc au plus près de son ADN historique pour les deux tiers. L’autre, fait la part belle à Max Reger avec les Variations et Fugue sur un thème de Mozart, et à Richard Strauss avec Ein Heldenleben, (Une vie de héros).
Ovni berlinois
Le choix de ce diptyque semblerait presque s’apparenter à une démonstration du talent de Petrenko et de « ses » Berliner – rappelons que ce sont les musiciens qui l’ont élu en 2019-. L’œuvre de Reger, par la reprise incessante du thème du premier mouvement de la sonate pour piano n°11 de Mozart, était tombée en désuétude au sein des programmation. Elle permet toutefois aux Berliner de dire : « regardez ce qu’on arrive à en faire » et de faire le manifeste de leurs qualités caractéristiques.

Deux éléments sont alors particulièrement marquants : la distinction de chaque pupitre et détails sans jamais perdre la ligne générale et le rendu ensemble, et aussi l’extrême souplesse de l’orchestre, jamais brusque, y compris dans les variations de volume sonore, mais toujours percutant, précis et en relief. La fugue finale est particulièrement prenante, remarquable de précision, d’expressivité et d’équilibre.
Petrenko superstar
La gestuelle du maestro donne alors l’impression au premier abord d’être sans extravagance, souple mais sans extrême précision mais se révèle en réalité parfaitement maîtrisée dans ses intentions et son ampleur. Il arbore d’ailleurs un sourire constant tout au long de la représentation, dont on comprend qu’au-delà de la posture, elle reflète la satisfaction du rendu global et la communion générale avec ses musiciens.

Vient ensuite Ein Heldenleben, autrement plus attendue, et ironiquement dédiée au challenger amstellodamois. La gestuelle du chef se fait alors beaucoup plus précise et énergique et l’orchestre déploie alors des trésors de profondeur et de relief. Le troisième tableau, la Compagne du héros, permet de mettre en lumière le premier violon solo de ce soir là (l’orchestre en compte trois) : Vineta Sareika-Völkner, ancienne tuttiste au sein de l’orchestre. En dehors de deux micro-erreurs, l’extrême précision dans les arpèges et la justesse dans l’extrême aigu de l’instrument impressionne toutefois, bien que le volume souffre dans certaines parti du solo de l’effet de contraste, face à la horde berlinoise.
Une vie de héros, depuis 1882
L’orchestre est alors remarquable d’expressivité, notamment dans le Combat du héros où les cuivres étincellent. Deux silences particulièrement longs, d’environ trois secondes chacun, traduisent l’extrême efficacité de la direction du chef, la précision de l’ensemble, et le silence de l’auditoire. De manière plus générale, il semble impossible de formuler, de bonne foi, un quelconque reproche aux pupitres d’instruments à vent ce soir-là, et particulièrement à leurs solistes.
C’est donc logiquement un tonnerre d’applaudissements qui vient saluer la fin de la Retraite du héros et l’accomplissement. En promenant son regard dans le public, il était d’ailleurs fascinant de voir la quasi-transe dans laquelle cette musique straussienne plongea une bonne partie de l’auditoire. Des bravo particulièrement forts et une standing ovation saluent solistes, chef et ensemble. On ne partira qu’avec un seul regret : l’absence de rappel ; car l’on aurait souhaité que pareille soirée ne s’arrête pas.