CONCERT – 4 mois jour pour jour après leur premier concert parisien en compagnie de Jakub Hrůša, le Wiener Philharmoniker revenait en compagnie du chef au Théâtre des Champs-Elysées, accompagnés cette fois-ci d’Igor Levit au piano, dans un programme alliant Dvořák et Brahms.
Duel de super-héros
Lorsque vous étiez au collège, peut être avez vous débattu de qui de Batman ou Superman était le plus fort. Le débat ayant fait rage chez les afficionados, un consensus a été trouvé sur la manière de les départager : en comparant leurs antagonistes. Pour comparer le niveau d’excellence des orchestres, un procédé similaire existe : examiner ce que chaque phalange considère comme une faute grave.
À ce jeu là, les Wiener excellent grâce à leur obsession du détail. La précision des pupitres de cordes, y compris dans les rythmiques les plus endiablées et les trilles, est toujours sidérante de netteté (même si, contrairement au 14 mai, un binôme parmi les premiers violons était légèrement moins investi que les autres). Toutes les attaques sont d’une propreté sidérante et chaque musicien cherche constamment à pallier à tout aléa possible. Deux exemples sont à ce titre particulièrement parlants. D’une part le timbalier qui, en dehors de ces quelques interventions, passe 90% du concert l’oreille collée à son instrument pour le ré-accorder. D’autre part, le fait que les violon solo, chef d’attaque et second et alto solo dispose tous d’un instrument de rechange amarré à leur pupitre.
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Rajoutez à cela quelques petites particularités supplémentaires, telles que l’absence de pare-son devant les cuivres, des trompettes jouant le pavillon orienté vers le sol ainsi que quelques différences instrumentales notamment chez les hautbois et les cors et vous obtenez un son drastiquement différent de ce que les orchestres parisiens donnent sur ces oeuvres.

Igor lévite
La première partie du concert est consacrée au concerto pour piano n° 2 op. 83 de Brahms, une œuvre d’autant plus redoutable qu’au-delà de ses impératifs techniques et de ses exigences d’endurance physique et mentale, elle ne laisse guère de place à la dissimulation et permet de juger presque instantanément de la musicalité de son interprète.
Le défi est certes de taille, mais Igor Levit le relève sans hésitation ni partition. D’une musicalité désarmante, le pianiste se démarque particulièrement par la légèreté de ses attaques, le caractère félin de ses arpèges et la rythmique toujours en place sans jamais être marquée.
Mieux encore, le pianiste apparaît en réelle communion avec l’orchestre, y compris dans les passages symphoniques où, plutôt que de rester concentré sur son clavier, il n’hésite pas à se tourner vers la phalange pour mieux faire corps avec eux. En résulte une grande fluidité tout au long de l’œuvre. L’andante leur permet de déployer toute leur profondeur ; tandis que l’allegretto grazioso, démontre la grande complicité entre le chef et le soliste, que chaque regard lancé trahit.
Hommage bohémien
La seconde partie du concert est dédiée à la huitième symphonie, dite la « Tchécoslovaque », de Dvořák, dont le chef est compatriote. Le chef, finalement visible, est également sans partition. La gestuelle est souple, précise et éloquente, et l’intégralité du corps est utilisée afin d’obtenir une direction particulièrement énergique et bondissante.
Sous pareille baguette, les musiciens traversent sans encombre les trois quarts d’heure symphoniques. La précision et la synchronisation des attaques ressort logiquement ; le tandem de trompettes est ainsi en telle symbiose que l’on croirait entendre un musicien unique. Les pizzicati et les trilles sidèrent par leurs précision.
Attention rappel
En tournée, il est d’usage pour cet orchestre-ci de donner ce sur quoi tout le monde l’attend : une valse ou une polka. Cela permet d’ailleurs à l’orchestre d’évaluer le potentiel d’un chef à diriger son célébrissime concert du nouvel an, et cela peut réserver bien des surprises -Valery Gergiev s’était ainsi totalement emmêlé les pinceaux sur le bis et avait finit de tourner les pages bien avant la fin du morceau-. Le concert du 14 mai avait été l’occasion d’entendre la danse slave en mi mineur op. 72/2 d’un certain … Dvořák. Cette fois-ci on aura l’occasion d’y entendre une Polka rapide de Johann Strauss fils : Muthig voran ! op. 432.
Le public ne se gênera pas pour ovationner autant chef que solistes (le violoncelle solo, de part l’importance de son rôle dans le concerto de Brahms est particulièrement ovationné). Jakub Hrůša prendra d’ailleurs, fait notable, le temps d’aller serrer la main d’une bonne douzaine d’entre eux, qu’importe qu’ils soient éloignés du pupitre ou pas. On ressort donc de là enchanté, la seule légère réserve rencontrée provenant du public, qui entre les myriades de quintes de toux et les tintements métalliques des bracelets aurait pu faire meilleur accueil à pareille musique.
