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David et Jonathas à Nancy : une histoire de dingues !

OPÉRA – Avant Luxembourg et le Théâtre des Champs-Elysées, l’Opéra national de Lorraine reprend la production du David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier créée à Caen en novembre 2023. La mise en scène de Jean Bellorini présente un roi Saül paranoïaque, revivant dans l’asile où il est interné les tourments qui ont causé sa chute.

À la fois proche et éloigné des tragédies-lyriques de Lully, le compositeur fétiche de Louis XIV, l’opéra biblique de Marc-Antoine Charpentier David et Jonathas résiste à toute catégorisation. Forme hybride conçue comme un spectacle de fin d’année pour étudiants, l’ouvrage faisait appel au départ autant à des musiciens professionnels ainsi qu’à des amateurs. De même, il relève de la tragédie parlée tout comme de l’opéra chanté. Incroyable, non ? Les cinq actes musicaux qui le composent aujourd’hui étaient en effet intercalés parmi les actes d’une tragédie théâtrale en latin, et le parti pris de la mise en scène de Jean Bellorini est justement de transposer l’histoire, tant en retrouvant cette alternance unique entre le texte parlé et la partie chantée. C’est à cette fin qu’il a été demandé à l’écrivain Wilfried N’Sondé d’écrire un texte destiné à relier, à réenrichir et à mettre en perspective les cinq actes de l’opéra.

Rendez-vous à l’asile
© Philippe Derval

Vous croyiez que le livret original traitait d’un drame biblique ? Et bien non, le point de vue proposé au public se détache assez fortement de l’histoire originale qui met en scène les personnages bien connus de Saül, David et Jonathas. On assiste ainsi dans cette intrigante mais captivante réécriture à la tragédie intemporelle d’un ancien dictateur politique et militaire, en prise au moment du drame avec sa culpabilité, sa folie et sa paranoïa. Saül nous est montré comme un vieux tyran qui revit, depuis la chambre d’hôpital où il est interné, les combats militaires et les tensions familiales qui l’ont autrefois conduit à sa chute. On nous montre ainsi dès le premier acte un champ de bataille jonché de morts, avec au-dessus un couloir d’hôpital dans lequel Saül, en compagnie de l’aide-soignante en charge de sa reconstruction physique et mentale, dialogue avec lui-même, revisitant le parcours cauchemardesque qui a conduit à fois à la perte de son trône et à la mort de son fils héritier. Tout est ainsi vu du point de vue du protagoniste, dont le cauchemar est en partie composé des morts qui réapparaissent en rêve, autant de pantins vivants qui parachèvent et accentuent sa descente aux enfers. 

© Philippe Derval

Derrière ces personnages fantasmagoriques, semblables aux guerriers enterrés de l’armée de Xi’An en Chine, nous reconnaissons tout à tour les protagonistes de l’ouvrage original – David, Jonathas, Achis et Joabel – mais également un certain nombre de figures impersonnelles – vieillards, enfants, veuves, malades, captifs – censées représenter les déshérités de la terre victimes des anciens agissements du tyran. Dingue, on vous dit ! Cet univers baroque et bariolé mélange allègrement styles, époques et traditions, allant jusqu’à évoquer la culture inca dont semble être issue la mystérieuse Pythonisse qui convoque l’ombre du prophète Samuel afin de prédire l’inévitable dénouement.

© Philippe Derval
Vie privée, vie publique

Pas très optimiste tout ça… Pourtant, cette production de l’opéra de Marc-Antoine Charpentier vient à point nommé mettre l’accent sur le fait que, malgré les méfaits dont s’est rendu coupable Saül, l’intime va continuer à l’emporter sur le politique, la vie privée va triompher sur la vie publique. La mort de Jonathas agit comme un électrochoc sur son père, certes, et on voit à jusqu’où il perd pied, mais elle vient également ternir et assombrir la victoire militaire de David pour qui, au sommet de sa gloire, les trois mots « tout est perdu » – et on trouverait difficilement une formulation plus simple et plus percutante – renforcent la dimension tragique et pathétique de l’opéra. David et Jonathas a beau être une réflexion sur le pouvoir et sur la folie, l’opéra reste avant tout un hymne à l’amour, à l’amitié, à la fidélité et à la loyauté. La question délicate de la nature intime des relations entre David et Jonathas passe d’ailleurs au second plan, le message se situant de toute évidence à un autre niveau.

© Philippe Delval
Un plateau de fou !

Cerise sur le gâteau, tous les acteurs de cette passionnante relecture sont investis corps et âme dans leur rôle :

  • À commencer par l’actrice Hélène Patarot, bouleversante dans son personnage d’infirmière en chef, bizarrement appelée « La Reine des oubliés » dans la réécriture. 
  • À ses côtés, le baryton Jean-Christophe Lanièce est lui aussi criant de vérité dans son incarnation d’un personnage en proie au doute, à la suspicion et à la folie. 
  • Avec ses deux voix, un médium de ténor solide et richement timbré et un registre aigu qui vire parfois vers le falsetto du contreténor, le Tchèque Petr Nekoranec n’est sans doute pas l’incarnation la plus authentique du haute-contre à la française. On n’en notera pas moins une certaine aisance avec la langue de Molière, un héroïsme vocal rarement atteint par les chanteurs de cette catégorie ainsi qu’une réelle capacité à émouvoir, notamment dans la scène finale où il déclare avoir tout perdu. 
  • Presque plus émouvante encore est la soprano Gwendoline Blondeel, à la fois diaphane et lumineuse dans son incarnation d’un Jonathas brave et tendre comme il se doit. 
  • On aura goûté également les deux personnages incarnés par la basse Alex Rosen : sombre et impressionnant dans le Samuel qui fait face à la formidable Pythonisse de Lucile Richardot, veule et noir dans le rôle d’Achis, roi des Philistins. 
  • Belle prestation également, mais sans réelle ampleur, de la part d’Étienne Bazola, qui tente de donner au personnage de Joabel le relief que la partition ne lui accorde pas véritablement. 
À lire également : L’interview perchée de Lucile Richardot

De très belles voix solistes se détachent de l’ensemble choral Correspondances, les choristes en général participant grandement au succès de la soirée. La direction de Sébastien Daucé, à la tête de son ensemble montre son accointance avec la musique de Charpentier. Précise et incisive, élégiaque aux moments les plus poignants du drame, sa direction parfaitement baroque reste tout au long de la soirée d’une rare intensité. Le public de l’Opéra national de Lorraine a réservé le meilleur accueil à un spectacle qui a su élargir le propos original pour atteindre la dimension universelle que l’on attend aujourd’hui des grands classiques. 

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