FESTIVAL – Outre sa programmation de soirée, toujours propice à de vrais concerts de gala, le Verbier Festival propose aussi, juste avant l’heure du déjeuner, des concerts qui valent le détour. Comme avec ce pianiste japonais, surprenant à plus d’un titre.
Il y a ce visage, d’abord. Un instrumentiste au sourire constant et rayonnant, aux mimiques expressives, dont la sueur reluit peu à peu sur le front, à mesure qu’avance le programme, herculéen. Car pour ce concert du dimanche matin, à l’église de Verbier, le public a de quoi communier autour du pouvoir de la musique, dont l’amour est quasi religieux, ici, à l’heure des beaux jours d’été. Et pour ravir tous les fidèles du festival, le pianiste Nobuyuki Tsujii n’a pas lésiné sur la qualité (ni la difficulté) du programme. Du Bach (Suite française en sol majeur), du Liszt (extraits du Supplément aux Années de pèlerinage), du Ravel (Pavane pour une Infante défunte), et du Kapoustine, compositeur méconnu, mais dont les 8 Études de concert ne manquent pas de saveur. Un répertoire dont la rudesse technique atteint des sommets, mais le principal intéressé s’en accommode très bien, ici, au pied des montagnes. Avec le sourire, évidemment.
Du coq à l’âme
Il y a ce talent, aussi. Un talent dingue. Car il faut s’imaginer les heures de travail, cette capacité à s’imprégner de chaque note, de chaque mesure, pour apprécier cette performance de haute volée qui ne peut que laisser bouche bée. Bien sûr, ici et là, le puriste tatillon pourrait attendre un poil plus de couleurs, de contrastes, d’effets dramatiques, comme dans cette Pavane manquant sans doute un peu de mélancolie. Mais pour le reste, comment ne pas être interloqué par tant de maîtrise technique, de dextérité, de domination de l’instrument, avec des touches tantôt caressées, tantôt brutalisées, au gré des atmosphères à dépeindre.
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Et il y a cette épatante faculté, donc. Celle qu’a « Nobu » de passer, avec une égale aisance, d’un répertoire classique et romantique à des pages bien plus modernes. Car elles sont très jazzys, ces Etudes de Kapoustine, et le virtuose trentenaire, qui magnifiait encore Liszt 20 minutes auparavant, parvient en un coup de baguette magique à transporter l’auditoire dans quelque environnement où la musique s’écoute accoudé à un comptoir, une coupe à la main, mais où l’on finit moins grisé par le champagne que par les notes environnantes. Une musique comme une éruption de doubles croches, d’accelerandos, d’accords endiablés, qui trouve ici un interprète formidable, dont les doigts visent toujours juste en courant d’un bout à l’autre du clavier.
Fenêtres de l’âme
Ainsi, il y a également cette générosité, évidente. La preuve : même le visage en sueur, et la mèche soudain moins ordonnée, l’artiste, ovationné, ne se fend pas d’un seul mais de trois bis. Une Vocalise de Rachmaninov, l’incontournable Campanella de Liszt, et une ultime Etude de Chopin pour finir ce menu copieux, face à un public à peine rassasié. Et définitivement conquis par ce pianiste surprenant à plus d’un titre.
Car il y a ce détail, enfin. Nobuyuki Tsujii est non-voyant. Ah bon ? Petit prince de la musique, cet incroyable artiste et surtout l’incarnation, pleine et fulgurante, qu’on ne joue bien qu’avec le cœur.
Demandez le programme !
- J. S. Bach – Suite française n°5 en sol majeur
- F. Liszt – Supplement aux Années de pèlerinage, second volume : Venezia et Napoli
- M. Ravel – Pavane pour une infante défunte
- N. Kapoustine – 8 Études de concert opus 40
Bis
- S. Rachmaninov – Vocalise op34 n°14
- F. Liszt – La Campanella
- F. Chopin – Étude op 10 n°12
