OPÉRA – La Sérénade à l’Opéra de Rennes, c’est un opéra d’une compositrice injustement oubliée, Sophie Gail, mis en scène intelligemment et malicieusement par Jean Lacornerie. Voilà qui nous donne envie de faire un tuto pour une sérénade maison réussie (si jamais l’envie vous prenait de faire une petite déclaration d’amour à votre crush, là comme ça spontanément).
1ère étape : soyez raccord sur le décor.
Vous être pressés de déclarer votre flamme, ok. L’amour n’attend pas, mais soignez d’abord le décor : une belle scénographie, ça permettra d’user de tous les ressors que peut offrir un beau théâtre à l’italienne, et d’enchainer les effets de style dans un plus pur effet Comedia dell’Arte ! Vous pouvez prendre inspiration sur les décors de Bruno de Lavenère pour ça : les grands rideaux permettant des jeux d’ombres, un plateau tournant, quelques échelles et quelques grands morceaux de tissu. Il n’en faut pas plus pour créer tout un monde. Imaginez l’effet quand vous vous mettrez un genou à terre derrière le rideau et que l’on vous verra simplement en ombre chinoise… + 100 points de romantisme!
N’oubliez pas de perfectionner vos éclairages. La sérénade aura lieu à la tombée de la nuit, il vous faut donc quelques projecteurs bien placés, et un peu de fumée artificielle. Si avec ça vous n’arrivez pas à emmener votre aimée dans les nuages, c’est que vous n’y mettez pas du vôtre.
Soignez également les costumes ! Regardez le costume de Scapin : une base de redingote style restauration, c’est très chic et ça pose la silhouette. Mais pour un effet moderne, choisissez-la blanche avec quelques paillettes, arrangez vos cheveux en grosse banane, et voilà un petit style Elvis Presley début de siècle qui ne manquera pas d’émoustiller votre crush. Take my hand, take my whole life too !
2ème étape : soignez la playlist, c’est vous les artistes.
Vous avez le décor, vous avez le costume, il vous manque la musique évidemment. C’est là que ça se complique : on veut autant de romance que de drama, autant de léger que de profond, on veut de l’émotion, de la joie, du Rossini et du Mozart, tout ça à la fois ! Et même quelques citations de certains vieux tubes de Bach. Vous séchez ? Allez, magnanimes, on vous met sur la voie. Sophie Gail. Valeur sûre. Vous savez, cette compositrice star du début du 19ème ? Ah non vous ne savez pas, évidemment puisqu’elle fait partie de toutes ces femmes injustement invisibilisées dans l’Histoire de la Musique…
La partition de Sophie Gail est une véritable petite pépite de musique, pleine d’élan, avec une petite touche de subversion quand elle s’amuse des codes musicaux de son époque, bref : une véritable gourmandise pour nos oreilles.
Pour mettre en avant l’immense talent de cette femme, il vous faut un orchestre. Choisissez-le bien ! Comme l’Orchestre National de Bretagne sous la baguette de Rémi Durupt, il vous faut des musiciens et musiciennes d’une sensibilité infinie pour donner à entendre toutes les nuances de cette partition, et savoir se faire tantôt transparent, presque diaphane, et tout d’un coup dramatique ou très enjoué, pour donner le relief que mérite la partition.
Quand vous chanterez (parce que ne croyez pas que vous allez vous en sortir sans chanter !), votre voix doit prendre le timbre chaud et enveloppant de Thomas Dolié, qui incarne Scapin avec une aisance désarmante, ou qu’elle s’élève agilement vers les aigus, comme celle d’Élodie Kimmel dans le rôle de Marine. Et surtout que vous y mettiez tout votre coeur, comme les 8 solistes de cette production, qui habitent la scène avec une joie et un esprit de troupe communicatif.
3ème étape : pas de fausses promesses, on n’est pas des princesses.
Prenez des notes, on arrive sur l’étape cruciale : le contenu de votre discours. Et c’est là que la comparaison avec Elvis Presley s’arrête, parce qu’on ne va pas se contenter d’une sérénade un peu mièvre. Si vous voulez vraiment conquérir le cœur de votre chérie, misez sur les vraies promesses. On attend de vous que vous soyez des hommes, des vrais : des alliés.
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Promettez d’abord que vous laisserez votre crush, elle et toutes les autres femmes qui vous entourent, être libres, indépendantes, subversives si elles veulent, drôles quand elles en ont envie. Dites-lui que vous la laisserez voyager, déployer ses talents et avoir pour modèle des femmes aussi déterminées que Sophie Gail.
Dites-lui que le monde va changer. Dites-lui qu’une compositrice de talent qui se fait effacer de l’histoire aussi facilement, ça n’existera plus et que vous ferez votre part du job pour que ça n’arrive plus, en rendant justice à nos côtés à toutes les Sophie Gail de ce monde et en permettant aux petites filles de rêver en grand.
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Et dites-lui aussi que les mariages forcés, partout sur la planète, c’est terminé. Que nous ne verrons plus de vieux Monsieurs Grifon épouser de force des jeunes Léonores sans leur accord. Promettez que l’injustice, sous toutes ses formes, est derrière nous, et que l’art et l’amour peuvent désormais briller ensemble, libres et égaux.
Conclusion, montez le son !
Voilà, vous êtes parés pour votre sérénade… on ne peut pas vous garantir la réponse, puisque « L’amour seul doit décider du choix ! » mais en tous cas, vous avez toutes les cartes en main. Et si vous vous en sortez aussi bien que les artistes et l’équipe technique de l’Opéra de Rennes pour leur Première, vous serez longuement applaudi et félicité par un auditoire conquis.
Merci à l’Opéra de Rennes de nous faire redécouvrir de la si belle musique injustement oubliée depuis plus de 170 ans, par la programmation de la Sérénade, mais aussi par une installation visuelle et sonore des artistes Léa Chevrier et Laureline Amanieux, qui nous font entendre et chanter plusieurs partitions de talentueuses compositrices, et nous font découvrir quelques écrits absolument horribles que les hommes ont écrit sur les femmes (Jean-Jacques Rousseau si tu nous entends…)