DISQUE – Depuis dix ans, les époux franco-russes Arthur Ancelle et Ludmila Berlinskaïa forment un des plus beaux duos de pianistes au monde. Leurs noces d’étain musicales, marquées par une série de concerts en Russie et en France, se sont tragiquement obscurcies avec l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes.
Sorti en février 2022, le dernier album du duo de pianos Berlinskaya-Ancelle, en hommage à la musique de George Gershwin (1898-1937) et Alexander Tsfasman (1906-1971) rappelle combien les échanges culturels sont précieux pour la construction de la paix et le dialogue entre les cultures. Le destin de ces deux compositeurs illustre l’histoire tragique du XXe siècle, marquée par les persécutions antisémites et l’exil.
Profondément chamboulés par la guerre en Ukraine, les époux franco-russes qui célèbrent les dix ans de leur duo dans une tournée de concerts en France et en Russie ont témoigné au début du conflit leur état de sidération. « Dans chaque famille russe, il y a une grand-mère ukrainienne. Et dans chaque famille ukrainienne, il y a une grand-mère russe », ont-ils rappelé.
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Destins croisés
Cent-quarante ans plus tôt, la famille de Gershwin a fui les pogroms anti-juifs de la Russie tsariste à la fin du XIXe siècle, pour émigrer aux États-Unis. Celle de Tsfasman a également fui les persécutions, mais en Ukraine pendant la guerre civile russe, au début des années 1920, et a émigré en Russie. Gershwin fut un compositeur de jazz qui rêvait d’être un musicien classique, alors que Tsfasman était un musicien classique qui embrassa une carrière de jazzman.
Le disque des pianistes Ancelle et Berlinskaïa propose un florilège d’arrangements pour deux piano de tubes de Gershwin, notamment ceux de mélodies composées pour des comédies musicales. Mais l’apport discographique important du disque réside surtout dans l’exploration de l’œuvre de Tsfasman, encore trop ignorée en Occident.
L’album nous offre ainsi une belle porte d’entrée dans un pan ignoré de l’histoire de la musique soviétique. En effet, entre le milieu des années 1920 et la fin des années 1960, existe en Union soviétique tout un courant musical de jazz, créé sous l’impulsion du poète, musicien et chorégraphe Valentin Parnakh, un ami d’Apollinaire et de Picasso.
Bien qu’il eut une formation classique, Alexander Tsfasman est l’une des figures majeures de cette histoire du jazz soviétique. Pianiste virtuose, il fonde le premier orchestre de jazz moscovite et est le premier à jouer du jazz à la radio et à l’enregistrer en studio. Il est également le premier interprète de Gershwin en URSS.
Dans cet album, on peut entendre un bel arrangement pour deux piano de sa superbe Suite pour piano et orchestre n° 1, ainsi que des arrangements de chansons et une Fantaisie inspirée par la mélodie de Gershwin, The Man I Love.
Défi d’interprétation
Jouer de la musique de jazz pour des musiciens classiques est beaucoup plus difficile que ce que l’on pourrait croire. Comme l’expliquent Ancelle et Berlinskaïa dans le livret du disque, c’est un vrai défi. Il faut “conserver le pianisme (fait de jouer du piano NDLR) et la virtuosité, la finesse de l’écriture, la distribution des couleurs, la précision de l’ensemble, comme dans le répertoire classique, et en même temps trouver l’aisance, le relâchement, le swing qui est si peu naturel pour les pianistes classiques”.
C’est un pari gagnant pour le duo Berlinskaïa-Ancelle, qui nous éblouit et nous émeut par un jeu étincelant, aérien, tendre et lyrique.
Pourquoi on aime ?
- Pour la finesse des arrangements et la beauté des mélodies
- Et le jeu scintillant et poétique d’Arthur Ancelle et Ludmilla Berlinskaïa
C’est pour qui ?
- Pour celles et ceux qui veulent découvrir le jazz soviétique
- Aussi, les amoureuses et les amoureux de la musique de Gershwin
- Enfin, les pacifistes, qui défendent le dialogue entre les cultures et l’harmonie entre les peuples
