L’Opéra de Quat’ sous à Aix : Mauvais genre !

FESTIVAL – La Mecque de l’Opéra en France célèbre ses 75 ans d’existence cette année. Sous la direction de Pierre Audi, le festival cherche un nouveau souffle, un nouveau public, et inaugure son édition 2023 avec un spectacle qui bouscule : l’Opéra de Quat’ Sous, avec la troupe de la Comédie Française, dirigée par Thomas Ostermeier. Pas de chanteur lyriques, et, en fosse, les guitares électriques et claviers synthétiques du Balcon, dirigé par Maxime Pascal.

Pour sûr, l’ami Brecht y’a cent piges, il avait bien vu juste : l’opéra c’est plus ce que c’était… Mais bon, le festival d’Aix lui, il a pas bougé d’un pèt’ : trois fois vingt cinq, ça fait soixante-quinze. T’en connais d’autres, toi, des festoches qu’ont une vie aussi longue ? Bayreuth ? Ouais, c’est vrai, m’enfin ça boxe pas dans la même catégorie, tu m’suis ? 

Ça sent l’souffre !

Là, à Aix, pas question d’carresser l’auditoire dans l’sens du poil : si faut brasser, on brasse ! Pour c’t’année, faut dire qu’ils ont fait fort les zigues : c’est la toute première soirée du festival, décorée par un ciel étoilé que l’cagnard de juillet a épargné. T’as la presse entière au parterre, la crème de la crème, les mécènes qui débarquent par minivans entiers dans des tenues que même chez Tati j’en ai pas vu des si belles. Ça sent l’prestige et l’Chanel à plein nez. La lumière qui baisse, le p’tit Maxime Pascal qui rentre, le rideau qui s’lève et PAF ! L’écran s’allume, et en grosses lettrines, façon Moulin Rouge t’as écrit : Opéra pour Clochards. Moi qui fais la manche depuis 1984 rue Paul Bert, j’ai jamais vu ça !

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« Opéra pour clochards ». Ah j’les entends d’ici mes p’tits abonnés qui raquent chaque année pour voir des Verdi, des Puccini, des Mozart et toute la clique : c’te scandale ! N’empêche que moi, ça me parle, ça. Un Opéra qui s’passe dans les bas-fonds de Londres, chez les maquereaux, les filles de joie et les mendiants. Un théâtre en musique qui raconte c’qui passe la nuit, quand tout le monde a le dos tourné, et quand y’a qu’la Lune pour voir les pires crasses du genre humain. Moi j’peux te dire qu’en quarante ans de turbin, je les ai vues les crasses. Mais ça fait tout drôle de les voir là, sur la scène de l’archevêché… Ça m’arracherait presque une larme, moi qui tends toujours les esgourdes les soirs de juillet, pour capter un peu de l’écho des jolis brins de voix qui passent là tous les ans, de l’autre côté du mur d’enceinte.

Pas lyrique pour un sou. Quoique…

Bon là c’est vrai, ça chante pas pareil que d’habitude. Normal aussi, les gars c’est pas des Pavarotti et les nanas c’est pas des divas. C’est la troupe de la Comédie Française. Des comédiens en gros. Ils se seraient pas gourés de ville desfois ? Hé les cocos, Avignon c’est un peu plus loin ! N’empêche, chanteurs d’Opéra ou pas, ça chante pas si mal pour certains. La p’tite Marie Oppert elle a un sacré brin de voix. Bon ok, ça marche parce qu’elle a un micro pour passer la rampe, mais franchement y’a pas grand chose à envier aux baroqueux. C’est clair, c’est musical, ça passe l’émotion tout pareil qu’un Bellini. Après ouais, sur les affiches aux arrêts de bus c’est écrit : Festival d’Art Lyrique. On y est pas, c’est sûr…

Cabaret bien barré

En tout cas, ça ressemble à des trucs qu’on connaît. T’as des grands écrans hyper high-tech, comme pour les shows à la Johnny. Bon là c’est pas des pots d’échappement de Harley et des flammes : c’est des images façon années 30, avec des dessins d’usine et une inspiration du « constructivisme allemand ». Je capte pas trop, mais j’aime bien ! Puis pour aider le quidam à piger, t’as des sous-titres qui te racontent ce qui se passe sur scène en même temps que tu le vois. Sur le devant de la scène, quatre micros sur pieds, façon stand-up, et des comédiens qui font genre qu’ils sont au music-hall quand ils rentrent dans leur personnage et poussent la chansonnette.

Lourds dingues !

Y’a des moments un peu lourdingues ouais, c’est clair, même moi qui suis pas bégueule j’le dis ! Ça fait mauvais genre, comme dirait l’autre… Mais bon, hein, nous les p’tites gens on fait pas dans la dentelle après tout. En parlant de lourdingue, j’en ai une bonne : l’orchestre qui accompagne les chanteurs s’appelle le Balcon, dirigé par un p’tit jeune qu’a pas froid aux yeux, Maxime Pascal. Vu les musiciens que c’est, vu comme ça joue sur plein d’instruments différents (guitare électrique, accordéon, saxo, synthé, piano), j’vous l’dis : y’a du beau monde, au Balcon !

À la fin de la soirée, avant que les rues se remplissent des braves gens qu’étaient là, et qui ont même pas remarqué que j’m’étais tapé l’incruste discret, je m’éclipse. J’entends de loin les applaudissements, et je croise deux trois gars un peu fâchés qui râlent d’avoir vu un truc pareil sur leur précieuse scène aixoise. Ils me passent devant sans me voir, comme d’hab’, et sans se dire qu’y’a plus grave que de perdre une soirée dans la grande farce qu’ils appellent la vie. Moi, j’ai vu sur scène, quelque chose qui ressemble à la mienne. Alors j’dis merci, et rendez-vous demain, pour Cosi.

Le Festival d’Aix-en-Provence se poursuit jusqu’au 24 juillet. Retrouvez nos comptes-rendus également sur Olyrix.com