FESTIVAL – Pour sa 24ème édition, le festival Bach en Combrailles met à nouveau la musique baroque à l’honneur. Un rendez-vous incontournable pour des artistes confirmés et des instrumentistes en devenir, heureux chaque année de faire leur « come Bach » en terre auvergnate. Comme en cette soirée où le programme comporte une petite spécificité…
« Allez viens, Jean-Sébastien, tu es ici chez toi !»
Bon évidemment, l’invitation serait aujourd’hui difficile à formuler directement à l’intéressé par mail ou par discussion privée Tik Tok, ce qui se joue à 273 ans près (une paille). Mais Jean-Sébastien Bach a bien été convié à nouveau au pied des volcans en cet été 2023, et il répondu favorablement à l’invitation, évidemment. Son œuvre est largement célébrée ici, au cœur du Puy-de-Dôme, dans ce festival qui porte d’ailleurs son nom : Bach en Combrailles. Un rendez-vous né en 1998 de la volonté de faire vivre la musique du Cantor de Leipzig dans ce territoire de collines et de bocages, mais aussi de permettre la construction d’un orgue à tuyaux dans l’église de Pontaumur, non loin de Clermont-Ferrand (une réplique de celui sur lequel Bach avait étudié la musique en Allemagne). Un défi relevé au milieu des années 2000 pour un festival qui, pour sa vingtième édition en 2019, avait même eu le luxe d’accueillir la création d’une cantate de Philippe Hersant, qui est aujourd’hui ce que Bach était jadis : une pointure de la composition.
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« Alors, oui, Bach, tu est ici chez toi », auraient sans doute eu envie de dire les organisateurs d’un festival qui ont encore vu les choses en grand en cet été 2023 : des auditions d’organistes venus d’horizons divers, des conférences, et des même des cafés-rencontres pour apprendre au public à chanter les chorals entre deux « Long Bach » sans sucre. Et puis il y a les concerts, dont celui donné en l’église Notre-Dame-du-Marthuret de Riom, majestueux édifice construit en pierre de lave noire. C’est là, donc, qu’une soirée baroque façon « Bach in Black » réunit non pas les amateurs d’AC/DC (encore que), mais surtout un public venu assister à un concert à la riche et inédite programmation. Riche, car proposant d’entendre des pièces représentatives de l’esprit baroque de la première partie du XVIIIème siècle. Et inédite, car donnant lieu, pour le prix d’une, à une double version d’une cantate écrite sur un même texte : « Mein Herze schwimmt im Blut », soit « Mon cœur nage dans le sang ». Tout un programme en somme, nourri par la douleur et le repentir, et qu’il convient sans doute d’introduire par de meilleurs sentiments.
Bach home
Alors, Jean-Sébastien, « toi qui reviens ici nous voir chaque année » (paroles d’organisateurs, toujours), permet d’abord que soit interprété, tout en douceur et poésie, Le Desire de ton contemporain Christoph Graupner, charmante pièce ici magnifiée par les cordes de soie frottées par les musiciens du Capricornus Consort de Bâle conduit par Péter Barczi, virtuose du violon baroque. Permets aussi que soient jouées quelques-unes de tes pièces qui ont tant fait pour la diffusion de ta renommée à travers les époques. Des œuvres ici retranscrites pour un orgue mélangé à un petit orchestre, mais qui n’en perdent rien de leur lustre sonore et de leur entrain rythmique. Telle cette Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 659, dialogue intense entre pupitres de cordes, on l’admire notamment toute l’excellence et l’ardeur dans le coup d’archet d’un violon solo tentant de remonter le moral à un violoncelle tout en gravité et languissement.
Puis tout devient plus vif et enjoué, les cordes se superposent magnifiquement et en viennent ensuite, en une même alternance de solennité et de vivacité, expressives, dans un extrait de la Sonate en sol majeur BWV 530 ou encore dans la Fantasia en sol majeur BWV 572. Du Bach pur jus où les instruments dialoguent, reprennent à leur sauce (et surtout à leur clé) les même motifs, et finalement se confondent pour conclure tout en majesté sonore. Ce qui se vérifie tout autant dans ce choral Num Komm der Heiden Heiland, un appel au Sauveur des Païens aux teintes ecclésiastiques, qui trouvent en ces lieux une idéale résonance.
Le chouchou
Un lieu propice en effet pour que s’envolent ensuite par-delà la nef les sonorités de ces deux cantates au fil musical tissé sur les mêmes mots bibliques. L’une composée par Graupner, encore lui, et l’autre signée de toi, Jean-Sébastien, « qui reste malgré tout notre chouchou » (parole de qui vous savez). Ainsi l’occasion est-elle fort belle d’entendre là deux œuvres où il est certes question de « nuits de vices », de « bourreaux de l’enfer », et de «cœurs qui sont des puits de larmes », mais où l’on se réjouit surtout d’assister à une douce symbiose entre instruments et voix. Des instruments qui, des violons et altos aux violoncelles en passant par le théorbe et le clavecin, ont tous le même souci, dans l’une ou l’autre des versions, de jouer de la juste nuance, du coup d’archet le plus maîtrisé, pour décrire la douleur et l’affliction dont il est ici question.
Chantons sous le Puy
Et puis il y a une voix, captivante et si délicate, celle de Miriam Feuersinger, l’une des interprètes de musique ancienne les plus réputées de son temps. Et l’on comprend pourquoi : la soprano, comme habitée par le texte (par ailleurs servi par le parfait allemand natal de l’interprète), donne ici tout le relief nécessaire à ses paroles emplies de douleur et de piété. Est-il question de soupirs silencieux ? La voix se fend de demi teintes de velours. Faut-il évoquer la détresse de l’âme ? Elle se fait plus incisive. Et à l’heure, enfin, où le cœur se fait à nouveau joyeux ?
Alors le timbre brille de toute sa lumière, et la projection se libère complètement pour saisir pleinement des âmes qui, dans le public, n’ont aucunement matière à être tourmentées. Surtout à l’écoute, dans la cantate signée « JSB » (ici donnée dans sa version de Weimar, avec alto obligé), d’un délicieux et intimiste dialogue entre voix et hautbois baroque, aussi intense dans lorsque le tempo se fait doloroso que lorsqu’il devient plus gai dans la gigue finale où enfin « Dieu est apaisé ». Quant au public, il est lui heureux d’avoir pu s’enivrer d’un vrai moment de grâce sonore, qui se prolonge en bis avec un céleste aria extrait de la cantate « Herr, gehe nicht ins Gericht mit deinem Knecht » BWV 105 d’un Jean-Sébastien Bach définitivement à domicile en ces terres auvergnates. Et les chauds applaudissements du public appellent déjà à un nouveau « come bach » pour la 25ème du festival à l’été 2024.
Merci pour ce bel article. Ce festival Bach en combrailles fait honneur à notre région et plus particulièrement à nos rudes et mystérieuse Combrailles. Un bémol toutefois. Quelle idée ont eu les organisateurs du festival de déplacer l’orchestre national d’Auvergne à la salle « l’arlequin « de Mozac à quelques mètres de l’abbatiale St Pierre à la sonorité autrement supérieure à l’arlequin. Ce dernier donne l’impression d’un gymnase transformé en pseudo salle de concerts. Ce n’est pas faire honneur à notre orchestre national de le faire se produire dans un lieu si glauque ou les sons se brouillent entre eux et où la virtuosité du violon solo est noyée dans un infâme bougiboulga de violoncelles altos contrebasses….
Vraiment dommage