OPERA – C’était un spectacle en deux parties : Rivoluzione e Nostalgia, que présentait le théâtre royal de La Monnaie en ce début du mois d’avril. Un pastiche à partir d’extraits d’opéras de jeunesse de Verdi composait la matière musicale d’une vaste fresque lyrique autour de l’héritage de mai 68. Une réflexion sur le temps qui passe, sur notre rapport aux événements historiques et la relation intime que nous entretenons avec l’opéra, proposée par le metteur en scène, polonais formé à Amsterdam, Krystian Lada et par le chef d’orchestre italien Carlo Goldstein.
Jour 1 : Révolution
Mai 68, entre la poire et le fromage
Dans toute la France, jusqu’à la fin du siècle dernier au moins, on savait que, parmi les sujets à éviter lors des repas de famille, il en était un particulièrement sulfureux : mai 68 ou l’autoritarisme parternaliste aux prises avec la « chienlit ». Revenir sur cette période, à l’opéra, en plongeant le spectateur au cœur de l’action est le défi de Rivoluzione.
Comme on est à l’opéra, le livret est en italien – l’italien comme langue de l’opéra, en particulier celui de Verdi est traversée au cours de l’Histoire par un certain nombre de mouvements populaires comme de courants musico-artistiques.
L’action se situe en Italie. Les thèmes sont néanmoins ceux dont vos parents et/ou grands-parents vous ont rebattu les oreilles (à moins que vous ayez vécu les événements vous-mêmes) : une jeunesse révoltée contre ses aînés prend possession des rues, des édifices publics, dénonce la guerre au Vietnam, exprime sa solidarité à l’égard des ex-pays colonisés. « Que restera-t-il de votre époque ? » est la question posée par Cristina, étudiante en cinéma.
Verdi, what else ?
Nous sommes bel et bien ici plongés dans l’univers verdien et l’intrigue est à peine moins tordue que celle du Trouvère. Faut-il prôner l’action violente ? Quel dialogue entre les étudiants et la classe ouvrière ? se demandent Cristina et les autres étudiants Lorenzo (basse, Justin Hopkins) et Laura (soprano, Nino Machaidze), Giuseppe (baryton, Vittorio Prato), sans oublier Carlo (ténor, Enea Scala), ouvrier sur les chantiers navals. Tout cela finira mal : à la fin, Giuseppe aura rejoint la police, ce que Carlo lui reprochera. Laura continuera, elle, d’affirmer la nécessité d’une guérilla urbaine et périra dans un incendie ravageant les barricades. Son esprit rejoindra les grandes figures révolutionnaires du passé. Bien employée dans le cadre d’une très subtile mise en abyme, la vidéo (conçue par Jérémy Adonis) réconciliera les personnes saturées de son utilisation à tire-larigot dans le spectacle vivant. Bien employée, elle remet les choses en situation : guerre du Vietnam et remous politiques en Algérie…
Fight the power ?
Aujourd’hui directeur de la programmation dans l’équipe dirigée par Ivo van Hove à la Ruhrtiennale, Krystian Lada, pendant trois ans directeur du département dramaturgie, développement des publics et communication de La Monnaie, pratique depuis une bonne décennie la culture disruptive de la maison. S’il est issu de la tradition théâtrale polonaise, il est aussi et surtout formé à Amsterdam et installé à Anvers. Un destin européen qui ici revêt ici toute son importance. L’opéra comme lutte est une dimension qui relève de l’évidence, ici, en lien avec le sous-texte verdien et le contexte qui a vu naître les Oberto (1839), Stiffelio (1850), Un giorno di regno (1840), Nabucco qui triomphe au printemps 1842, Lombardi alla prima crociata (1843), Giovanna d’Arco, Attila, Macbeth, La Bataille de Legnano, Luisa Miller et Ernani,ce sont treize opéras composés par Verdi en huit ans. Explosion finale ou utilisation par la police d’armes non-létales (on se sait), Rivoluzione est une célébration d’une culture européenne du dialogue, entre la scène et la rue.
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