CONCERT – Le programme du pianiste chinois Lang Lang, au dosage savamment mesuré, réunit, après la révérence à la musique française – la célèbre Pavane de Fauré – deux grands florilèges de pièces schumanienne et chopinienne. Il se clôt avec un panache, démesuré cette fois, dans l’interprétation d’une des plus puissantes Polonaises du compositeur de Varsovie.
Quand on assiste à un concert de Lang Lang, pianiste auréolé d’une gloire toute olympienne, on s’attend à vivre une expérience superlative, de l’ordre du « trop » : trop d’extériorisation et de virtuosité, trop de jubilation et de diversité, et en même temps, trop de travail et de perfectionnisme, trop d’émotion et d’intériorité, etc.
Piano paillette et piano en miette
Enfant prodige, pianiste précoce, Lang Lang, aux yeux grand ouverts sur l’ardoise magique du clavier, semble puiser dans l’imaginaire de son enfant intérieur, bercé par l’énergie graphique et sonore de dessins animés. Il y conforme un toucher animal à coussinets, un félin de feu que les touches semblent brûler à chaque fois qu’il y pose les pattes.
Il dépose, dans la Pavane de Fauré, de petits cailloux blancs. Il pratique, dans les Kreisleriana de Schumann, un phrasé à l’échelle de la cellule rythmique, dont il sculpte les accents réguliers, y oppose des saccades serrées, exacerbe les contrastes des sublimes fragments dont est composée la partition. Les passages lents deviennent évanescents, le legato résulte d’une attaque entretenue par la pédale – plus que du chant. La musique de Lang Lang est un jaillissement direct, spontané, concentré sur l’instant sonore, dans sa pureté percussive. Son fourmillement découle d’un geste premier. Lang Lang est comme un DJ qui envoie du son dans les passages tonitruants. Il joue avec la musique, plutôt que DE la musique, expérimente des touchers inouïs, comme autant d’heureuses trouvailles du moment à l’échelle de la mélodie, quand l’écriture de Chopin invite plutôt à voir le temps long.
Chi va piano va solo
Mais tout ne se résume pas à cette tendance, dans un récital de Lang Lang. Sobrement vêtu de noir, le pianiste chinois s’avance lentement vers l’instrument. Il veille à saluer le public, réparti en cercle aux quatre… coins de la salle en vignoble de l’Auditorium de Bordeaux. Il s’incline ou lève ses mains, paumes ouvertes, comme s’il entamait un cérémonial, à la fois intérieur et en connexion subtile avec le public – qui lors des saluts se lèvera en réponse à ce qu’il a reconnu comme une performance. Lang Lang interprète non seulement de la musique, mais également un rituel chargé de rendre grâce à la musique.
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À l’orée de chaque pièce, il entre dans le moelleux de l’instrument, exerce une pression sur le clavier comme sur un traversin à mémoire de forme, sur lequel il dépose avec précaution une panoplie de douceurs et de langueurs. Dans le courant du jeu, il densifie l’instant, entre en méditation, étire le tempo à l’extrême, pour éprouver la zénitude au point d’équilibre entre contrôle et lâcher prise. Un savoir-faire de maître alchimiste transforme alors le plomb en or, dans la continuité des différents états d’une matière sonore « bien tempérée ».
Lors d’un concert de Lang Lang, s’éprouve concrètement une expérience singulière qui peut, avec le temps, permettre de revisiter les catégories du jugement porté sur le savant et le populaire, le classique et l’actuel, à partir du corps et de l’âme du piano.
Demandez le programme !
- G. Fauré – Pavane op. 50
- R. Schumann – Kreisleriana, op. 16
- F. Chopin – Marzukas (op. 7 n°3 – op. 17 n°1, 2, 4 – op. 24 n° 2, 4 – op. 30 n° 3, 4 – op. 33 n° 3, 4, 2 – op. 59, n° 3)
- F. Chopin – Polonaise en fa# mineur, op. 44
