FESTIVAL – À Saintes, l’ensemble Sarbacanes est passé offrir une heure de fièvre baroque, entre trilles supersoniques et feu d’artifice de traits virtuoses, dans leur programme Pyrotechnies. L’inspiration ? L’ambiance musicale qui régnait dans l’Orchestre de la mythique Staatskapelle de Dresde au XVIIIème siècle. Attachez bien vos perruques, ça décoiffe !
Château de Dresde, juillet 1721
Dans un salon de répétition des musiciens de l’Orchestre de la Chapelle d’État (Staatskapelle), Jan Dismas Zelenka présente à ses collègues de l’orchestre sa dernière sonate. Il sait ce que valent ces musiciens virtuoses, et leur a réservé un petit casse-tête pyrotechnique, qui risque de les faire suer à grosses gouttes….
– Euh, Jan ? T’es sérieux là ?
– Quoi, t’as peur de pas y arriver ?
– Ben c’est à dire que j’ai que dix doigts quoi…
– Attends Johann, c’est pas toi qui me disais que t’en avais marre de rester coincé dans le continuo, avec le clavecin ?
– Oui, j’ai dit ça, c’est vrai. Mais d’abord, ce soir-là on avait un peu poussé sur le Genièvre, et ensuite, j’ai surtout dit ça parce que j’en avais marre d’être à côté de Jorgen ! Il pue des pieds, mais quelque chose de puissant…
– Oui ben, en tout cas, continuo ou pas, moi je veux voir ton basson tout devant, avec Joseph et Marek. Quand t’es rentré à Dresde, t’es rentré parce que t’es le meilleur bassoniste du monde connu, non ? C’est un peu le principe de l’orchestre, je me trompe ? Allez, on reprend ! 3, 4…
– Attends !
– Oui Joseph ?
– Ça veut dire que je prends le basson ?
– Mais non ! Ça veut dire que toi et Marek, vous allez faire une petite place à Johann. Y’a pas de raison que ce soit toujours les hautbois qui s’amusent. Allez : 3, 4…
– Attends !
– QUOI Jorgen ?
– Alors d’abord non, c’est pas vrai que je « pue des pieds ». Ensuite, t’es mignon avec ta partition là, mais on est sûrs que Son Altesse Électorale éternelle, le prince-électeur a validé ? Il a du goût quand-même le monsieur…
– Oui, et il te rémunère grassement pour jouer du clavecin. Pas pour donner ton avis. D’ailleurs, avec ce que tu rentres chaque mois, tu pourrais te payer des collants propres de temps en temps… Allez : 3, 4…
Auditorium de Saintes, juillet 2025
– Attends !
– Oui Gabriel* ?
– On est sûrs que ça s’est vraiment passé comme ça ?
Non Gabriel, on n’est pas sûrs, mais c’est l’idée… Je re-constitue un dialogue imaginaire entre musiciens de la cour de Dresde. C’est un truc narratif pour parler de votre programme Pyrotechnies sans en avoir l’air.
À voir également : L'interview Perchée de Gabriel et Raphaël Pidoux
Parce que là, on sort du concert, et dans cet auditorium plongé dans le noir, avec ses voûtes de pierre et sa chaleur accumulée, il y avait une drôle d’ambiance de session jazz dans une cave de Saint-Germain-des-Prés. Sauf que Neven, ton copain hautboïste m’a dit qu’à l’époque, la cave de Saint-Germain-des-Prés s’appelait la cour de Dresde. C’est là qu’il y avait les plus virtuoses des musiciens, et c’est là que des compositeurs baroques envoyaient leurs sonates les plus folles, parce qu’il n’y avait que là qu’elles pouvaient être jouées. Et vous, leurs héritiers, vous venez de nous en donner une version décoiffante. Vous êtes des rock-stars les amis !
Et moi qui ai été soufflé, comme le public de Saintes, moi qui adore les rock-stars, j’ai bien envie que votre ensemble soit plus connu, que plus de gens profitent de l’ambiance de vos concerts. Parce qu’entre vos présentations aussi drôles qu’intéressantes et le festival de note et de traits fiévreux que vous venez de nous offrir (d’ailleurs tu penseras à t’essuyer le front, t’a un peu sué, Gabriel…), moi je me dis que la musique de chambre baroque a de beaux jours devant elle. J’ai assez envie de vous offrir cet article, pour faire parler de vous.
Alors, vas donc recueillir les lauriers devant l’auditorium, tes fans t’attendent. Moi je continue.
Allez, 3, 4…
* Gabriel Pidoux et Neven Lesage, hautboïstes de l’ensemble Sarbacanes
