CONCERT – En tournée en Europe, le violoncelliste Gautier Capuçon et le pianiste Daniil Trifonov ont fait étape à la Philharmonie de Paris, pour y donner trois pièces maîtresses du répertoire pour violoncelle et piano : les sonates de Debussy, Prokoviev et Rachmaninov. À la fougue maîtrisée de Capuçon a répondu l’assurance tranquille de Trifonov, pour un grand moment de musique de chambre.
Un samedi soir de février à la Philharmonie de Paris. Le public se presse, nombreux et déterminé. Il sait qu’il vient écouter deux stars du classique qui se produisent ensemble en musique de chambre. D’un côté, le violoncelliste français Gautier Capuçon, qui a su se faire un nom malgré l’ombre, parfois envahissante, de son frère ainé Renaud. Il faut dire qu’il tire, de son violoncelle Mateo Groffiller de 1701, une musique séduisante, parfois âpre, mais toujours riche en dynamique et en précision. De l’autre, le pianiste russe Daniil Trifonov. Lauréat du Concours Tchaïkovski en 2011, c’est un alchimiste du piano, capable d’infinies nuances dans un déroulé du discours qui tient en haleine, le tout sans difficulté technique apparente. Si certains pianistes articulent leurs doigts pour jouer. Daniil Trifonov, lui, se contente de les actionner pour allumer la magie.
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Le jeu des différences
Alors que Capuçon est agile, alerte, cabotin et très à l’aise sur scène, Trifonov semble détester l’espace entre les coulisses et le tabouret du piano, préférant de loin poser ses doigts sur le clavier plutôt que d’avoir à saluer le public. Si l’un est extraverti l’autre est introverti. Pendant que l’un fait des effets de manche (d’archet), il arrive parfois à l’autre de se voûter, pour mieux se rapprocher de la partition, au mépris de l’impression visuelle qu’il peut donner.
Et pourtant, musicalement parlant, ces deux-là s’entendent comme larrons en foire. Le discours musical, posé et archi-sûr, de Trifonov semble détendre Capuçon, qui, en retour, encourage le pianiste russe à encore plus exprimer les intentions émotionnelles et les changements de dynamiques de la partition. Chacun a besoin de l’autre pour s’exprimer et être en confiance.
Trois grands moments de musique
Il en résulte alors trois grands moments de musique, servis avec gentillesse et altruisme par deux complices inspirés. La Sonate de Debussy est précise et parfaitement réglée, pour laisser passer au mieux cette fausse impression de musique improvisée. Celle de Prokoviev, qui démarre dans l’archi-grave du violoncelle, façon voix de basse russe, est d’une densité de son assez incroyable. Sans répit et très changeante dans les humeurs, dans un style rhapsodique très slave, elle met au défi technique ses interprètes, qui relèvent le gant haut la main. Puis vient la sonate de Rachmaninov. Elle aussi rhapsodique, elle est plus volubile et Trifonov semble comme augmenter la taille de ses doigts pour répondre à l’ampleur du propos demandé. De son côté, Capuçon sait être lyrique et brillant, les deux maintenant un rythme musical et expressif soutenu jusqu’à la fin.
Pour conclure en beauté ce concert, les deux interprètes font d’abord entendre une Vocalise, de Rachmaninov, noble et élevée, écoutée dans un silence religieux par le public de la Philharmonie, puis une Danse des chevaliers, extraite du ballet Roméo et Juliette de Prokoviev, enfiévrée et sauvage. À ce moment-là seulement, un léger décalage de l’attelage se fait sentir, Trifonov privilégiant une allure comodo et Capuçon voulant accélérer. Mais le calme l’emporte : le Russe, en tenant ferme les rênes du Français, fait piaffer ce dernier, pour le plus grand profit d’un effet expressif réussi !
