DANSE – Le ballet La Dame aux camélias, chorégraphié et mis en scène par John Neumeier, est à l’affiche de La Scala de Milan. Son esthétisme, son élégance et la tension de sa dramaturgie, sur fond de musique de Chopin, en font une œuvre majeure du répertoire.
Un ballet successfull
Créé en 1978 par le ballet de Stuttgart, La Dame aux camélias est le ballet le plus successfull du chorégraphe texan John Neumeier. Au répertoire de dix compagnies à travers le monde, il a notamment été représenté plus de 250 fois par le ballet de Hambourg. Et La Scala de Milan n’est pas en reste : après l’avoir programmé en 2007/2008 puis en 2017/2018 elle le redonne actuellement.
Avec, en fil rouge de ces trois productions, en plus d’y retrouver John Neumeier (chorégraphie et mise en scène) et Jürgen Rose (décors et costumes), le danseur étoile Roberto Bolle dans le rôle principal. Âgé de cinquante ans, il continue à impressionner par son délié et sa virtuosité physique et expressive.
Le spectacle est aussi dans la salle
Autant dire qu’avec tous ces éléments, c’est carton plein pour La Scala, et la foule se presse, nombreuse et élégante (on devrait s’en inspirer en France !), aux portes de ce magnifique théâtre du 18e siècle, avec ses six niveaux de balcons et ses 2030 places assises ! Aussitôt le rideau levé, le silence se fait, attentif et attentiste. Se révèle alors sur scène un appartement bourgeois parisien de la fin du 19e siècle. Un panneau annonce une vente aux enchères des biens et on comprend qu’une personne est décédée et que ses créanciers espèrent ainsi récupérer leur dû. C’est le début du roman La dame aux camélias, d’Alexandre Dumas fils, qui narre le sacrifice de l’amour entre une courtisane (Marguerite Gautier) et un jeune homme de bonne famille (Armand Duval) sur l’autel des conventions sociales de l’époque.
Un roman qui se lit d’une traite
S’il y aurait beaucoup à dire sur le traitement et le mépris infligé au genre féminin dans ce roman, notons simplement qu’il possède deux lignes de force essentielles : sans être écrit dans un style particulièrement élaboré, il se lit pourtant d’une traite, tant l’auteur sait rendre son lecteur avide de connaître la suite. Par ailleurs, Dumas fils pratique un style indirect qui renforce le jeu sur la corde sensible : flash-backs, plusieurs narrateurs (l’auteur, Armand, Marguerite), scènes imbriquées, plusieurs événements se déroulant en même temps, jeux de tension entre exaltation et abattement, espoir et perte, découragement et paix de l’âme…
À lire également : Avignon : Traviata et le procès Mazan
Une chorégraphie élaborée
Ces éléments de dynamique interne au roman sont repris avec brio par Neumeier et Rose. Les décors sont simples et sobres et les costumes s’inscrivent ton pour ton dans le goût vestimentaire de l’époque du roman. Par contre, la chorégraphie qui s’y déroule est élaborée tout en restant lisible, superposant souvent des tableaux d’ensemble (fête, bal, sortie champêtre…) à des échanges de personne à personne ou encore enchaînant de manière fluide tableaux et changements de décor. Les portés des hommes sont impressionnants par leur ampleur et leur fréquence ! Quant aux femmes, souvent sur pointes, elles sont également très sollicitées physiquement.
Une musique semblant générée par les gestes des danseurs
Le plus beau étant sans doute les pas de deux, hautement expressifs, sensuels et élégants, portés par la musique, parfaitement adaptée, de Frédéric Chopin. Car là est une des briques essentielles de l’édifice solide et élégant qu’est cette Dame aux camélias de John Neumeier: le choix d’une bande-son constituée uniquement de musiques de Chopin : mouvement lent de la Sonate pour piano n°3, Concerto pour piano n°2, 1ère et 3e des Trois valses brillantes, Trois Écossaises, Préludes n°2 et 17, quelques-uns des Vingt-quatre préludes, Grande fantaisie sur des airs nationaux polonais, 1ère Ballade, Andante spianato et Grande polonaise brillante, ainsi que le mouvement lent du Concerto pour piano n°1. Contemporain exact du roman, évoluant dans les mêmes sphères sociales que les héros et lui aussi condamné à mourir jeune, Chopin distille par sa musique des états d’âme parfaitement en accord avec l’ouvrage.
Pour tenir la partie de piano principal -soliste ou solo-, on retrouve en fosse la pianiste et cheffe d’orchestre italienne Vanessa Benelli-Mosell. Grande habituée de la musique de Chopin, elle apporte à l’ouvrage un supplément d’âme. Maniant avec habileté précision rythmique et souplesse des lignes musicales, irisées d’infinies touches de couleur, elle est un personnage à part entière du drame. Seule musicienne pendant tout le deuxième acte -les musiciens de l’orchestre de La Scala et leur chef, l’Australien Simon Hewett, sont même absents de la fosse d’orchestre-, sa musique se déroule, impériale et subtile, comme semblant générée par la gestuelle des danseurs. On atteint des sommets d’expression sensible, dont le point culminant est sans doute l’ultime pas de deux de Marguerite et Armand, alors qu’ils savent leur amour condamné, sur fond de Première Ballade de Chopin.
Neumeier, par sa chorégraphie élégante et sensuelle, rend, avec cette Dame aux camélias, un hommage intense au roman de Dumas fils et à la musique de Chopin. Il est donc logique que son ballet, classique dans la forme mais élaboré dans son propos, soit un des ballets majeurs du vingtième siècle.
