COMPTE-RENDU – La Fondation Louis Vuitton accueille, dans le cadre de sa saison musicale, un trio réunissant Anne-Sophie Mutter (violon), Pablo Ferrandez (violoncelle), Yefim Bronfman (piano) pour un programme Beethoven/Tchaïkovski :
Le monde vivant se répartit en deux catégories d’espèces : celles dépourvues de coudes, et celles munies de coudes. Et parmi cette dernière catégorie, il y a celles qui ne font rien de leur coude (ou pas grand chose d’autre que de plier un membre) et celles qui en font quelque chose, de sublime, comme manœuvrer un instrument de musique, notamment à cordes.
La coudée est même une unité de mesure, et elle s’impose pour mesurer la qualité d’un tel concert (et en cet Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, pensons à tous ces coudes qui ont porté, portent et porteront valeureusement des sacs de luxe, offrant autant de subsides à la construction d’un tel lieu et d’une telle programmation artistique).
ça coude de source
Les deux instruments à archets ici réunis offrent notamment ce sublime mouvement de symétrie (lié au fait que le violon se porte tandis que le violoncelle se pose, inversant ainsi leur orientation) : le coude de la violoniste se lève pour ancrer le grave que le violoncelliste atteint à l’inverse en baissant le coude.
Or justement, le grave s’impose ici nettement, non seulement comme la fondation de la richesse du son de ces deux instrumentistes, mais comme l’ancrage du départ et l’horizon de retours de leurs phrasés, le lieu de leur expressivité.
Anne-Sophie Mutter y trouve la noblesse d’un plus long archet, en allongeant le coude, ou bien sa vivacité précise dans les rythmes plus rapides. Il faut dire que l’aigu apparaît acéré, peu plaisant.
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A contrario, Pablo Ferrandez cherche et trouve y compris dans les hauteurs (relatives) des codes graves un chant qui s’élève mais reste très modéré : il en garde visiblement beaucoup sous le coude et refuse de jouer des coudes avec les deux célèbres artistes du programme. Les doux échos, les feulements de crin sont d’autant plus appréciables qu’ils offrent un plan d’égalité expressive, permettant au violoncelliste d’articuler ses phrases en trois mouvements de coude.
Quoiqu’il garde pour sa part les coudes étonnamment dépliés et le long du corps, Yefim Bronfman se donne clairement les coudées franches, démarrant en trombe le concert avant même que le violoncelliste n’ait fini d’ajuster sa pique. Il déferle en arpèges descendants, labourant les rythmes vifs, retrouvant la précision des motifs détachés. L’attention s’affûte pour amener les modulations (ces coudes harmoniques).
Pas de quoi se moucher du coude
Malheureusement, les passages rapides sont autant de coudes abrupts pour le trio : ces virages où tous s’agrippent à leur instrument comme à un volant et à leur partition comme à une carte routière. Et au final, le concert manque d’huile de coudes, de cette énergie qui vient du dos, traverse l’épaule, le coude, le poignet, le son, l’art.
La majorité du public n’en lève pas moins les coudes, pas pour boire un verre (la journée a été assez arrosée comme cela par la tempête) mais pour applaudir et rappeler vigoureusement les artistes. Le bis, la Liste de Schindler, rappelle l’importance capitale de se serrer les coudes, ce qui n’empêchera pas certains spectateurs de jouer des coudes pour accéder plus vite au vestiaire et à la sortie.
Demandez le programme
- L.v. Beethoven – Trio n°7 en si bémol majeur « Trio à l’Archiduc »
- P.I. Tchaïkovski – Trio en la mineur « À la mémoire d’un grand artiste »
