L’art de la direction d’orchestre est aussi mystérieux qu’insaisissable, tant pour les mélomanes que pour les spectateurs et spectatrices néophytes. Parfois même pour les musiciens eux-mêmes ! Au Gstaad Menuhin Festival, nous sommes allés à la rencontre des jeunes chefs qui représentent l’avenir de la direction d’orchestre.
Une académie de direction d’orchestre de référence
Depuis 2014, le Gstaad Menuhin Festival a créé, sous la houlette de son directeur Christoph Müller, une académie de direction d’orchestre, qui donne à des jeunes chefs et cheffes d’orchestre l’opportunité de travailler avec un vrai orchestre (le Gstaad Festival Orchestra, et depuis cette année le Sinfonie Orchester Biel Solothurn), ainsi que de recevoir les conseils de professeurs expérimentés.
Pendant trois semaines, les heureux élus vivent un apprentissage très intense, travaillant out autant le répertoire classique, romantique et contemporain. C’est une opportunité très précieuse pour leur carrière : “Nous avons un orchestre extraordinaire, des professeurs extraordinaires et des collègues de si haut niveau ! Avec un orchestre de ce niveau, vous apprenez vraiment à diriger, car ils remarquent chaque petite chose que vous faites”, explique Omer Shteinhart.
L’enseignement à la dure de Jaap van Zweden
Lors de la troisième semaine de formation, ils suivent la masterclass du chef néerlandais Jaap van Zweden, actuellement directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de New York et de l’Orchestre symphonique de Hong Kong. Imposant physiquement, le visage buriné, il dégage une force mentale et psychologique très intense, et un charisme qui ne peut qu’impressionner ces jeunes musiciens.
Face à ces chefs en devenir, il s’exprime de façon très directe, verticale et il ne mâche pas ses mots. Son enseignement très rigoureux et exigeant, qui peut sembler brutal, apporte beaucoup aux étudiants : “Quand vous êtes là, face à l’orchestre, vous pensez à 1000 choses et il vous aide à vous concentrer. Il se concentre sur ce qu’il pense être le plus important.C’est un style d’enseignement efficace parce qu’il dissipe le chaos très rapidement.”, explique Molly Turner.
Mais c’est une manière de conduire une masterclass, qui peut être déstabilisante ou vécue comme humiliante par ces jeunes musiciens, qui doutent encore beaucoup, même s’il n’est jamais méchant et qu’il reste bienveillant.
Un concert de clôture riche en promesses
A la fin de ces trois semaines de travail et d’apprentissage, pendant lesquelles elles et ils ont pu perfectionner leur maîtrise de la direction d’orchestre dans de grandes œuvres du répertoire ainsi que de la musique contemporaine, vient le moment du concert. Pendant une heure et demi, les chefs se sont succédés sur le podium pour diriger le Concerto pour piano n°5 de Beethoven, puis la symphonie n°4 de Tchaïkovski.
Si tous les participants ont insisté sur le fait qu’avoir été sélectionnés pour ces trois semaines est en soit la meilleure récompense de leur travail, la remise du prix Neeme Järvi reste un moment important, car à la clé les gagnants seront assurés d’être invités pour diriger les meilleurs orchestres suisses. Sans compter que des agences d’artistes sont également présentes dans la salle.
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Cette année quatre chefs ont été distingués : Izabele Jankauskaité, Daniel Huertas, Kyrian Friedenberg et Samy Rachid. Il est à noter qu’ils ont tous dirigé un extrait de la Symphonie n°4 de Tchaïkovski, plus spectaculaire musicalement que le concerto, ce qui a peut-être influencé le choix du jury, composé de leurs professeurs, du directeur du festival et des représentants de six grands orchestres suisses.
L’avenir de la direction d’orchestre se conjugue au féminin
Des quatre chefs récompensés, c’est la cheffe lithuanienne Izabelė Jankauskaitė qui a recueilli le plus d’invitations de la part des orchestres, ayant été choisie par le Berner Symphonieorchester, le Sinfonie Orchester Biel Solothurn et le Musikkollegium Winterthur, pour venir les diriger la saison prochaine. Cette triple reconnaissance est le signe que les temps changent, et que l’omniprésence masculine sur le monde de la direction d’orchestre est en train de faiblir.
Cependant, cet intérêt des orchestres, et celui plus général des grandes institutions musicales et des agences d’artistes, a aussi des revers et des dangers cachés pour les jeunes musiciennes. Comme nous l’ont expliqué Christoph Müller et Johannes Schlaefli, l’attention portée aux jeunes cheffes est devenu un argument de marketing, et peut mener à pousser trop vite des musiciennes qui ont besoin de temps pour se construire. Conscient de ce danger, Christophe Müller insiste sur le fait qu’avec l’équipe de l’académie de direction, ils souhaitent protéger et accompagner ces jeunes femmes : « Nous devons faire attention à les protéger et elles doivent acquérir de l’expérience. »
Izabelė Jankauskaitė est aussi consciente qu’une carrière de cheffe se construit sur le long terme, comme elle nous l’a confié : « Je crois aux étapes lentes, aux petits pas, et je pense que c’est la meilleure chose à faire pour évoluer en tant que musicien, mais aussi en tant qu’être humain. » Forte de ce prix Neeme Järvi, la jeune cheffe lithuanienne est désormais pleinement lancée. Et comme le hasard fait bien les choses, à la rentrée elle va devenir l’assistante de Paavo Järvi (fils de Neeme Järvi, NDLR) au Tonhalle de Zurich.