ENTRETIEN – Pour plus de classique, voici la suite du long et passionant entretien que le directeur du théâtre de Caen nous a accordé. Après la saison d’Opéra détaillée sur Olyrix.com : place aux dialogues des arts voisins. Au programme : théâtre musical, théâtre, musique de chambre, danse et musiques du monde. Il y décline en profondeur sa saison à venir, et le lien de confiance qu’il veut entretenir avec son public.
Quels seront les temps forts de votre saison de concerts ?
Tiago Simas Freires, que je voulais inviter depuis longtemps, vient pour la première fois avec son ensemble baroque de musique portugaise. Puis nous continuons – avec Julien Chauvin – l’aventure de l’intégrale des Quatuors de Haydn. Une belle histoire qui se suit, sur neuf saisons. Et ça marche, le public répond présent !
Le week-end Brahms aussi sera extraordinaire avec David Grimal et Les Dissonances pour la Symphonie n°1 et le Double concerto pour violon et violoncelle. Et le lendemain l’intégrale des trios avec David Grimal, Philippe Cassard et Anne Gastinel. L’Orchestre National de France vient aussi avec l’hommage de Messiaen à Tristan et Isolde (il pensait à cet Opéra majeur en écrivant Turangalîla-Symphonie). Ce sera un sacré plaisir d’avoir cent dix musiciens sur scène : là encore, je croise les doigts mais c’est une manière de tordre le cou au Covid, je l’espère.
Vous proposez aussi une riche saison de théâtre musical, est-elle complémentaire avec celle d’opéra ?
Complètement. Cela se nourrit pleinement, et c’est aussi une manière d’interroger les répertoires et le renouvellement des esthétiques. Notre voyage part des frères Ali et Hèdi Thabet pour un opéra autour du mythe de Narcisse, et du berceau culturel qu’est la Méditerranée. Avec comme pilier le répertoire du rebetiko : répertoire grec issu des grands échanges de populations au début du XXe siècle entre Grèce et Turquie. Un chant de l’exil, sorte d’équivalent du fado portugais. Du blues, mais grec !
Le spectacle d’Agathe Mélinand nous plonge ensuite au sein de la famille Bach, une manière de s’immerger dans le quotidien d’un génie. C’est un magnifique spectacle avec de très belles pièces de Bach jouées au piano et au clavecin.
Le spectacle de Jean Bellorini, Le Jeu des Ombres, très beau et mystérieux, repose la question même de l’art : à partir de L’Orfeo, avec un livret entièrement réécrit par Valère Novarina dans une forme très ambitieuse qui croise la musique de Monteverdi et des arrangements d’aujourd’hui. C’est pour moi un manifeste salutaire de la force de l’art : Orphée, par la beauté de son chant et de la musique, arrive à braver la mort.
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Enfin Sans tambour, la dernière création de Samuel Achache, un autre partenaire de route du théâtre de Caen, qui nous parle aussi de reconstruction, en s’appuyant cette fois sur les Liederkreis de Schumann. Comme pour Combattimento, ce spectacle parle de la capacité de l’être humain à dépasser les épreuves qui nous frappent, avec cette fois tous les ingrédients du théâtre de Samuel Achache qui aime à nous faire passer de moments d’humour débridés à des moments de poésie bouleversante. C’est la force du théâtre et le vecteur de la musique : une force pour aviver nos émotions.
Toutes ces propositions complètent ce que nous racontons à travers l’opéra.
Votre programmation théâtre dessine aussi de nombreuses résonances avec l’opéra, ses mythes et ses artistes : est-ce là aussi une intention déterminée de votre part ?
Je conçois la programmation de théâtre dramatique comme un espace de dialogue et d’approfondissement de la saison lyrique et de théâtre musical. L’intérêt est de nouer des parcours avec des artistes, qui passent du théâtre à l’opéra, via des pièces et des thèmes. Pour la saison théâtrale à venir, il y aura Othello de Shakespeare mis en scène par Jean-François Sivadier et il y aura d’autres spectacles qui parlent de la force de l’amour : L’Orage d’Alexandre Ostrovski par Denis Podalydès, Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev par Clément Hervieu-Léger ou encore On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset par Laurent Delvert.
Tiago Rodrigues (nouveau directeur du festival d’Avignon, NDLR) vient également dans la programmation art dramatique avec son dernier spectacle : Catarina et la beauté de tuer des fascistes, qu’il écrit et met en scène. C’est génial pour le public caennais de voir ainsi Tiago Rodrigues dans la même saison au théâtre et à l’opéra : c’est unique en France, alors profitez-en les Normands. Et les autres aussi !
Votre programmation danse résonne elle aussi avec d’autres thématiques et disciplines, comment la concevez-vous ?
Nous sommes dans des formes qui revendiquent la danse comme art total : le corps dialoguant avec la musique. Dans toutes nos propositions on retrouve cet enjeu du dialogue de la danse avec la musique jouée soit live soit sur bande : Le Livre de la jungle réimaginé par le chorégraphe Akram Khan avec musiciens sur scène, une nouvelle composition sud-africaine pour Le Sacre du printemps imaginé par Dada Masilo et bien sûr Jean-Claude Gallotta pour Ulysse, une des pièces fondatrices de la danse contemporaine, en 1981. Quarante ans après, Jean-Claude la transmet à une jeune génération d’interprètes et en profite pour écrire en miroir l’histoire de l’Odyssée vue par Pénélope cette fois.
« Nous devons sans cesse cultiver la découverte de choses inconnues »
Patrick Foll, directeur du théâtre de Caen
Vous offrez également plusieurs séries de programmes en entrée libre : « Jazz dans les foyers » et « Jazz café », « Chanson Côté Cour », « Musiques du monde », « Plus près des artistes ». Quels sont les objectifs ?
L’idée des concerts gratuits est de proposer une autre manière de venir au théâtre de Caen mais aussi d’utiliser des espaces plus intimistes du théâtre que la grande salle. Nous avons la chance de disposer d’une très belle et grande salle avec un peu plus de 1.000 places et un plateau immense. Le rapport est très réussi entre la scène et la salle, mais elle est vaste. Je voulais donc proposer d’autres espaces pour un autre rapport aux interprètes. J’adore les foyers et nous avons la chance d’y avoir une bonne acoustique
L’idée est aussi de montrer combien la musique se nourrit des échanges tout en invitant le public à se laisser porter à la découverte grâce à une programmation thématique : jazz, musiques du monde ou rendez-vous avec La Maîtrise. Nous devons sans cesse cultiver la découverte de choses inconnues, sans avoir besoin d’apprendre et de tout vouloir savoir à l’avance. Je ne crois pas qu’il faille toujours tout dévoiler et tout expliquer : il faut créer une relation de confiance avec le public et offrir une richesse de programmation suffisante afin de permettre au public de se laisser aller à la découverte.
La partie de cet entretien, consacrée à l’Opéra est à retrouver sur olyrix.com.