COMPTE-RENDU – Ce jour d’Halloween 2022, la fondation ROC ECLERC, entreprise spécialisée dans les pompes funèbres et les plans obsèques, nous invitait dans les catacombes de Paris pour y entendre en première mondiale un intrigant Requiem civil commandé à la compositrice Lise Borel afin d’accompagner les cérémonies funéraires.
« Arrête, c’est ici l’empire de la Mort ! »
Après avoir durant des années ricané à la face des amis étrangers venus explorer ce sommet du Paris touristique, j’ai accepté de descendre les 130 marches qui mènent à 20 mètres sous terre, sous la conduite d’un Charon d’agréable compagnie, véritable puits de science. Un Cerbère bonne pâte, muni d’un QR code actionnant le portillon d’entrée, ouvre l’accès à de longues et basses galeries, aujourd’hui éclairées à l’électricité, aménagées dès la fin du XVIIIe siècle. Arrive ce lieu « très instagrammable », selon les mots de notre guide, où s’entassent, figés dans le ciment, les ossements de quelque 4 millions de Parisiens des siècles passés : certains sont connus, d’autres moins, la plupart sont morts à l’ouvrage, à l’âge moyen de 35 ans.
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Après le franchissement de l’Achéron, sous les gouttes de la pluie parisienne de la semaine précédente, vient la présentation par Lise Borel d’une œuvre qui se veut aconfessionnelle. Le livret, en langue anglaise, dans un désir de mise à distance des mots plutôt que d’universalité, est effectivement tout aussi athée que la mise en scène, par la République, de l’entrée en ces lieux (l’héritage philosophique et moral gréco-latin prime : une citation libre de l’Énéide a pour rôle de faire passer la pilule du macabre). Chez la librettiste Cécile Borel, mère de la compositrice, John Keats, William Shakespeare et Épicure ont été chargés d’encourager la communication entre les vivants, dans le souvenir des morts.
Une « berceuse païenne pour les morts » ?
Si l’écriture de ce Requiem civil rappelle une musique américaine du milieu du siècle dernier, entre le style de Samuel Barber et celui d’un Bernstein en ses aspects lénifiants, la musique de Lise Borel est, disons-le, tout à fait séduisante. Dédiée à un chœur mixte à quatre voix enrichi de parties solistes dans l’avant-dernier morceau, alternant écriture chorale et écriture fuguée, usant de jeux sur les asymétries rythmiques, mériterait-elle de se voir accoler la boutade, lancée naguère par un critique français de radio à propos du Requiem de Fauré : « Berceuse païenne pour les morts » ?
C’est là une question de sensibilité. Dans ce contact concret avec ces millions de morts anonymes desséchés par les ans, il manque la dimension symbolique de la mort, qui seule à mon sens engendre l’affliction et prépare le terrain du deuil. Il faut néanmoins saluer, outre la grande justesse du ton de Lise Borel dans sa réponse à la commande qui lui a été faite, la qualité d’interprétation offerte par l’ensemble Aedes dirigé par Mathieu Romano.
*Underground : souterrain