COMPTE-RENDU – Non loin des coffee-shops, en bordure du quartier rouge d’Amsterdam, De Nationale Opera présentait, le 7 novembre dernier, en création européenne, l’opéra de Jeanine Tesori (*1961) Blue, commande du Glimmerglass Festival (première mondiale en 2019), en coproduction avec le Washington National Opera et le Lyric Opera of Chicago. Ce spectacle, très américain, aussi bien dans sa conception musicale et scénique que dans son sujet, est-il de nature à soulever les passions lyriques en Europe ?
« Black lives matter »
Si des agents des douanes vous interrogent à la descente du Thalys, tandis que vous revenez d’un séjour culturel à Amsterdam, nul ne garantit que vous éviterez une fouille de vos effets personnels : vous aurez au moins contribué à faire la promotion du Nationale Opera, magnifique édifice érigé dans les années 1980 en bordure de l’Amstel. Plus sérieusement, le contrôle au faciès et l’évaluation rapide d’un profil sociologique composent l’arsenal des moyens couramment employés par la police française, néerlandaise ou américaine. Inspiré de la mort par asphyxie de George Floyd en 2020 à Minneapolis, le sujet est ici des plus graves : le livret de Tazwell Thompson, qui signe également la mise en scène du spectacle, choisit de mettre en scène le meurtre, par un policier durant une manifestation non-violente, d’un jeune Afro-Américain militant et engagé.
« L’opéra marche à reculons vers son avenir »
Pour paraphraser une philosophe et musicologue française autrice d’un livre sur la création lyrique au XXe siècle paru à la fin des années 1990, l’opéra avance aujourd’hui parfois bien plus à reculons que vers un quelconque avenir, à en juger par le manque d’audace que l’on peut prêter à maints programmateurs (sous la menace, peut-être, de coupes budgétaires). Ce Blue, de Jeanine Tesori, il est vrai, ne déroge pas à la règle. Très classique dans son écriture musicale (il se contente d’un recours à quelques glissandos à la Xenakis au début), très lisible dans sa conception dramaturgique, il ne contient rien qui ne prenne le spectateur à rebrousse-poil. Malgré la violence et le deuil qui y sont évoqués, l’humour et tendresse sont les maîtres mots d’un ouvrage où il est question de révolte, mais aussi de recueillement et d’identité afro-américaine – en particulier dans la touch de la ligne vocale, vaguement jazzy, rythmée ou de type choral, comme pour évoquer ce rapport si particulier que le groupe social ici mis en scène a à la Foi.
À lire également : Hommage vibrant à trois compositeurs afro-américains
un ouvrage dont la démarche, en dépit de quelques faiblesses, devrait faire date.
« Soul food »
Blue séduit par son traitement très habile des dialogues, servis par des interprètes afros originaires des États-Unis, d’Afrique du Sud, voire des Pays-Bas. Le premier acte se clôt avec la mort du Fils et les larmes du Père, qui dans le livret exerce le métier de policier. Le deuxième acte est celui de l’hommage, mais aussi du pardon et de l’espoir : réconfort apporté au Père par le Révérend, atmosphère de piété de la scène des funérailles et épilogue où l’on revoit le fils à table parmi sa famille, affirmant son militantisme (petit clin d’œil ici au véganisme) : le thème de la nourriture, de la « soul food » d’une population marquée par l’esclavage, traverse l’entièreté d’un ouvrage dont la démarche, en dépit de quelques faiblesses, devrait faire date.