CONCERT – Le jeune chef Jérémie Rhorer, à la tête du Cercle de l’Harmonie, met ses « quarante rugissants » au service des compositeurs Dvořák, Strauss II et Brahms, pour faire voyager le public du Grand Théâtre de Provence dans le cœur de l’Europe centrale.
Aladin et ses quarante voleurs
La phalange, le Cercle de l’Harmonie, en grand éclat de bois, de boyau et de cuivres d’époque, vient imprimer dans le tympan du public d’aujourd’hui, les alliages sonores d’un passé qui n’est pas tout à fait révolu. Le travail historique des premiers baroqueux vient ici permettre au répertoire classique et romantique d’être à son tour cherché à tâtons. Il est ici restitué par des couleurs d’époques imaginées, sans paillettes franches ni sonorisations amplifiées.
Le chef visionnaire, Jérémie Rhorer, tient une baguette gracile. Cet Aladin des plateaux et ses solistes confirmés – quarante voleurs de son -, enveloppent le son de patine et de rotondité. Au Grand Théâtre de Provence, la fontaine de la Rotonde est à deux pas chassés… De fait, le répertoire programmé a pour centre de gravité, la danse, Belle-Époque, slave ou de bohème, avec ses déplacements circulaires et ses emballements, entre répertoire savant et air populaire.
L’heure est au déploiement d’un sonore, qui du pianissimo au fortissimo, reste contenu dans l’intimité du cœur et de la pensée. La musique semble circuler de l’écoute interne des compositeurs à celle du chef d’orchestre.
Quant le chef est là, la chauve-souris danse
À sa juste place, l’ouverture de La Chauve-Souris (Die Fledermaus) de Johann Strauss II, appelle la gestique élastique du maestro. Sa baguette est comme le prolongement de son index droit, un sémaphore précieux. Jérémie Rohrer travaille le rythme récurrent de la valse, souligne ses moments de tension et de détente, et lui donne une dynamique nouvelle. Les jambes du chef, pliées puis élancées, ses bras étirés vers le haut, sont de la partie, qui peut faire penser à une chevauchée de parade.
Le chef arrache la musique à son territoire, avec les Danses Hongroises, puis Slaves, et en souligne les puissants bercements depuis l’articulation de ses coudes, l’engagement de son buste. Les œuvres choisies ont pour point commun, une écriture enroulée sur elle-même, parfois jusqu’à l’obsession.
La transparence que le chef obtient de son ensemble fait de ce concert une liqueur symphonique équilibrée, ainsi qu’une leçon d’assemblage et d’orchestration. L’œil du spectateur, tout ouï, suit une partition concrète.
Une phalange sous-mise à l’index
Côté Cercle de l’Harmonie, toute une palette de saveurs, de couleurs et de caresses, d’emphase, de jaillissement et de fracas, s’insinue dans le grand tympan du public.
Les cordes effectuent de petits froissements d’aile, déploient leurs étoffes de gaze, de satin ou de lin, selon les nuances inscrites sur la partition. Le premier violon, tourné vers l’orchestre, se levant parfois de son siège, fait partie du processus qui insuffle un franc dynamisme à la musique.
La petite harmonie assure ses pures et douces fanfares sylvestres, tandis que les cors, aux appels poignants, apportent leur part d’ombre, les trombones, leur majesté. La percussion assène la scansion, et vient affirmer l’origine populaire de la musique.
La pâte de la symphonie
En deuxième partie de soirée, consacrée à la troisième symphonie de Brahms, une pâte plus consistante est malaxée par les doigts experts de l’ensemble des protagonistes, chef de brigade Rohrer en tête. L’engagement des uns et des autres s’adapte à un autre travail du motif : thématique. S’impose maintenant la forme sonate, étirée à l’envi par un compositeur déjà post-romantique. Le chef s’adresse manuellement aux pupitres détenteurs des thèmes, pour faire venir à lui ce matériau précieux.
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Les timbales deviennent des éléments structurants, et plus seulement entraînants ou décoratifs. La musique, de mouvement en mouvement (Allegro con brio, Andante, Poco allegretto, célébrissime, Allegro), semble se ressourcer dans le calme planant de ses grandes nappes sonore et reprendre sa cavalcade vers la coda (la musique aussi peut attendre et faire la queue).
Le chef vient puiser le sonore à l’intérieur de son orchestre, plongeant parfois son bras gauche dans le pupitre des violons, afin de rendre palpable l’incertitude et la fluidité tonales de cet opus, et faire avancer, pas à pas, les puissantes colonnes de ses tuttis.
Le public, qui applaudit après chaque point d’orgue, redemande de la musique, ou plutôt redemande cette musique. Il est obéi, par deux fois, par la reprise des Danses Hongroises les plus fameuses. Ainsi, le Cercle de l’Harmonie se referme-t-il sur la nuit.