CONCERT – Vendredi 17 mars. Il est 20h, l’auditorium de Radio France ferme ses portes et le concert commence. Au menu de cette soirée, deux œuvres bien connues mais toujours aussi époustouflantes : L’Ascension de Messiaen et la Symphonie n°7 de Bruckner. Un grand moment de (très) belle musique, exécuté par L’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction de Myung-Whun Chung.
Prenons de la hauteur !
Cette pièce de Messiaen, en quatre mouvements, eut droit à une exécution redoutablement minutieuse. La Majesté du Christ demandant sa gloire à son Père est un mouvement qui se démarque par son obstination et la reprise hypnotique de quelques motifs. Les vents, et en particulier les trompettes, déroulèrent seuls, lentement, avec précision, des phrases solennelles et pleines d’humilité. Cette idée musicale entêtante, qui tient en si peu de notes, commence à gagner en couleurs, se gonfle, et emplit la salle de ses échos. Le plus frappant dans ce premier mouvement est cette alternance entre moments de jeu et silence absolu. Alleluias sereins d’une âme qui désire le Ciel, le deuxième mouvement, a quelque chose de plus familier.
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Le discours, moins dissonant, semble presque devenir cinématographique ; les soli de bois se font chaleureux et l’entrée des cordes on ne peut plus théâtrale. Le troisième mouvement, Alleluia sur la trompette, Alleluia sur la cymbale prolongeait cette intention dramatique, nous livrant presque des accents de West Side Story par instants. Les cuivres, violoncelles et contrebasses s’illustrèrent brillamment par ce dialogue des timbres qui ouvre le mouvement, et qui oppose ensuite les autres pupitres. On finit par retrouver l’obsession dissonante du premier mouvement, et la déclinaison en séries d’ostinatos, ces cellules rythmiques ou mélodiques répétées. La fièvre gagna tout l’orchestre, et la salle avec elle. La Prière du Christ montant vers son Père, enfin, prit l’aspect d’un récit-fleuve, tendre et doux. La mélodie semblait s’élaborer au fur et à mesure, rendant presque tonaux ses errements chaleureux. Cette fois, les vents furent silencieux. Au cours de ce mouvement plus long, plus continu, l’obstination mélodique nous amena vers la réponse attendue tout au long de cette liturgie, qui a laissé la salle transie et galvanisée.
Une performance à couper le souffle (5/5, CMPHB)
Nous avons savouré la Septième Symphonie de Bruckner comme on regarde, le cœur battant, un film à suspens. Dès le premier mouvement, il y eut quelque chose de profondément caressant et chaleureux dans la nonchalance de l’écriture. Les archets eurent le bon geste, élancé, tandis que les vents, comme le hautbois, proposaient des soli vibrants. Cet Allegro moderato nous emmena sans difficulté du lyrique au jeu insouciant, du drame à l’apaisement, de l’atmosphère intime d’une salle de bal à des crescendo d’ampleur colossale. Ce fut, en somme, un kaléidoscope incroyablement brillant, exécuté avec passion.
Vint ensuite l’Adagio, qui se présenta sous un jour plus sombre, à grand renfort de tubas wagnériens, ce deuxième mouvement étant plus spécifiquement conçu comme une « vraie musique funèbre » en l’honneur du défunt compositeur de la Tétralogie. On put ainsi apprécier un thème lancinant aux cordes ; mais lentement, le cœur de la musique se réchauffa, sonnant comme une invitation à dépasser la contemplation de la mort, dans le deuil, pour célébrer la vie. Les crescendo se firent optimistes, de plus en plus grandioses et inarrêtables, et l’hommage n’en fut que plus beau, quand il fut question de revenir au calme et à l’humilité des dernières mesures.
Vox populi…
Le troisième mouvement fut radicalement différent ; dans ce Scherzo, les cordes se montrèrent plus impétueuses. La structure reposait essentiellement sur une alternance entre des airs gais, quoique légèrement teintés de mélancolie, et des moments terriblement martiaux. L’émotion au sein du public montait à nouveau, et le chef n’a pas tardé à lancer le dernier mouvement, qui fut splendide. Nous n’attendions qu’une chose : la résolution – et bien sûr, tout dans l’écriture déjouait cette attente. L’introduction du Finale se disperse ainsi dans plusieurs directions musicales, et les prises de parole multiples n’aident pas à donner de l’homogénéité. Nous voulions davantage : une explosion dramatique, un tutti assourdissant, une résolution enfin ! Une telle promesse faisait surface par moments, avant de redisparaître au profit des cordes ou de soli chez les vents. Heureusement, après plusieurs faux climax, la véritable conclusion arriva ; cette révélation lentement préparée, inévitable, attendue, le triomphe enfin dans un crescendo sublime – puis les applaudissements enfiévrés d’un public conquis. Myung-Whun Chung eut raison de ne pas céder aux demandes de l’audience. L’exécution de cette œuvre-monde de plus d’une heure était trop parfaite pour autoriser un rappel.