AccueilA la UneAlexandre Tharaud : l'art de l'arabesque

Alexandre Tharaud : l’art de l’arabesque

CONCERT – Ce mardi 23 mai, à la Philharmonie de Paris, le pianiste Alexandre Tharaud a interprété sur un piano de concert Yamaha une série de morceaux choisis que sont venus conclure quelques extraits des compositions du pianiste, ainsi que la 23e sonate de Beethoven, la célèbre Appassionata. Un pari réussi ? Si la virtuosité magnifique de l’artiste n’a pas manqué de lui valoir les ovations les plus sincères du public, il n’en reste pas moins que les arabesques brillantes et pointilleuses de son jeu ont parfois sonné en porte-à-faux avec le style classique de la sonate.

Le faune de Debussy : une palette de couleurs…

Transcrire pour piano seul le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy (composé en 1894), voilà un défi ! La complexité de la composition orchestrale en rendait la tâche particulièrement ardue. Mais sous les mains de Tharaud, le piano s’anime et nous restitue la palette impressionniste de l’œuvre. Des arpèges continus s’élancent en arabesques sous les mains scrupuleuses de l’interprète. On y perçoit toute la mollesse paresseuse et sensuelle, tout l’onirique érotisme, toute la rêverie foisonnante du prélude orchestral. On y ressent les frissons extatiques du faune, à rebours des timbres fascinants et colorés de la flûte et du hautbois. Et cette interprétation exaltée parvient à ne pas brouiller les lignes musicales, complexes et originales du poème symphonique que Debussy avait écrit d’après un poème de Mallarmé.

Dans une esthétique non moins évocatrice, les Pièces lyriques de Grieg, dont Alexandre Tharaud a ensuite joué des extraits, ont constitué l’un des points d’orgue de la soirée. Ces petites mélodies, charmantes et enchanteresses, mordantes ou poétiques, vives ou nonchalantes, que l’on interprète trop rarement, révèlent bien l’intelligence pianistique d’un artiste capable de métamorphoser le mouvement de ses mains, le jeu de ses nuances, la fermeté de son interprétation. Et l’on navigue au gré du caractère triste ou lyrique, évocateur ou rayonnant, joyeux ou mélancolique, de ces pièces romantiques. Pas étonnant que Tharaud y excelle, lui qui sait si bien endosser, dans ses accompagnements de mélodies françaises, les masques, les reliefs et les tonalités de ces petites perles musicales. Découverte de la soirée !

Tharaud par Tharaud

Corpus Volubilis : voilà bien un titre évocateur pour le cycle de pièces pour piano écrites par le pianiste, dont il nous a interprété des extraits mardi soir. « Volubilis » désigne, en latin, le caractère facile et aventureux d’une parole qui se déroule d’elle-même ; ici, ce sont les mots intrépides et cryptés, autant de notes d’une musique bavarde et pleine d’humour, qu’ont esquissés les dix doigts du pianiste. Alexandre Tharaud, qui a toujours voulu être compositeur, nous place devant le livre ouvert de son âme, véritable portrait musical de sa personnalité d’artiste. Ce qu’on y lit surtout, derrière la répétition des rythmes et le jeu des dissonances, c’est l’humour d’un artiste qui se joue des codes et des conventions, et qui s’amuse sur scène comme un acteur monologuant sur la scène d’un théâtre. Avec lui, la musique peut être sombre ou enjouée, instinctive ou insondable, surprenante ou familière.

Où est passé Beethoven ?

On peut cependant s’étonner du traitement que le pianiste a réservé à la vingt-troisième sonate de Beethoven. Tharaud nous émeut par sa virtuosité, mais son jeu, fondé sur les contrastes, s’est mal prêté à ce mélange de précision, de délicatesse et fluidité qui compose la musique du compositeur de Fidelio. À la différence de pianistes comme Claudio Arrau ou Wilhelm Kempff, qui donnent à cette musique une respiration qui lui est vitale, Tharaud en a presque gobé, pour ainsi dire, les passages rapides comme le mouvement central.

Il noie la sonate dans des avalanches de notes, mais ne lui donne pas le souffle essentiel qui lui fait atteindre la beauté : on n’y sent pas les respirations de la forme musicale, ni la plénitude douce et délicate du deuxième mouvement, ni cette arabesque ondoyante et angoissée qui innerve le mouvement de la main gauche dans le troisième mouvement. Devant le spectacle de son talent, on oublie la plénitude assurée et chaleureuse, l’amplitude sonore, l’envergure harmonique, la précision mécanique de cette musique inégalable.

Tharaud s’est jeté sur l’Appassionata comme il le ferait pour un concerto de Grieg ou de Rachmaninov – et comme il l’a fait, encore, mardi soir, pour la toccata en ré mineur (S.141) de Scarlatti, qu’il a interprétée en bis. On y entend Tharaud, on y entend moins Beethoven.

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