COMPTE-RENDU : L’Opéra National du Capitole de Toulouse présente le Mefistofele d’Arrigo Boito, incarné par Nicolas Courjal, tentant de corrompre Jean-François Borras en Faust, dans la catharsis du spectacle ciselé par Jean Louis Grinda. La direction musicale est assurée par Francesco Angelico.
Mefistofele : késako ?
Les représentations du Mefistofele de Boito sont particulièrement rares au pays du Faust de Gounod. C’est d’ailleurs la première fois que cet opéra est donné au théâtre du Capitole ! Beaucoup plus centré sur le personnage du diable et ses implications métaphysiques que son cousin français, Mefistofele a également la particularité de reprendre succinctement la deuxième partie du diptyque de Goethe, comprenant l’union de Faust avec l’Hélène de la mythologie grecque en plus de la première partie beaucoup plus populaire. Et l’on doit à Jean Louis Grinda la redécouverte de ce chef-d’œuvre dans nos maisons francophones. Il a en effet tenu à le produire dans les deux institutions qu’il dirige (ou du moins qu’il dirigeait concernant la première) : l’Opéra de Monte Carlo et les Chorégies d’Orange.
La venue de la production à Toulouse était prévue depuis déjà plusieurs années mais elle fut différée jusqu’à aujourd’hui, principalement en raison des contraintes liées à la pandémie. Que ce soit en raison d’une volonté affirmée de changement, d’exigences liées à l’espace, ou de maturation dans la tête du metteur en scène depuis sa première production, celle de Toulouse présente quelques différences avec les précédentes, dans l’agencement de l’espace notamment.
Mise en scène dantesque !
Le décor, conçu par Laurent Castaingt (avec qui Jean Louis Grinda a l’habitude de collaborer et qui assure également les éclairages), est composé d’un vaste écran incurvé en forme de dôme encadrant la scène. Il sert de support aux projections élaborées par Arnaud Pottier qui permettent avec une seule structure de délimiter et faire évoluer l’ensemble des espaces. Un ciel nuageux signe ainsi le royaume divin lors du prologue, une rosace se meut en cathédrale lors du deuxième, un espace infini et étoilé est ouvert à Faust par Mefistofele à la fin de ce même acte, une forêt verdoyante symbolise la nature idéale lors de la rencontre de Faust avec Marguerite, etc. Ces projections sont par ailleurs bien synchronisées sur la musique. La forme en voute est bien choisie car elle s’accorde symboliquement avec la plupart des lieux : la voute céleste bien sûr, l’architecture médiévale pour le cabinet de Faust ainsi que la cathédrale, et même peut-être la montagne évoquée lors de la nuit de sabbat.
Quelques éléments et accessoires viennent s’ajouter, choisis avec soins pour garantir la portée de chacun et éviter de surcharger le plateau. Citons entre autres un arbre dans le jardin de Marguerite, une lanterne maintenue par une longue corde dans sa geôle, rappelant celle du pendu et donc la mort imminente du personnage, un bureau pour le cabinet de Faust avec un livre, un set d’écriture et un crâne sec. L’attention à la symbolique est plus généralement portée à l’ensemble de la mise en scène. Le ciel gris de la dualité entre le bien et le mal lors du prologue s’éclaire par exemple d’une lumière dorée à sa fin (tout comme à la fin de l’épilogue d’ailleurs) pour entériner la victoire de Dieu sur le mal. Le personnage d’Euphorion, fils d’Hélène et Faust, décrit par certains spécialistes comme l’hybride entre l’idéal classique (part d’Hélène) et les fantasmes romantiques (part de Faust), non explicitement évoqué dans le livret mais présent dans la pièce de Goethe apparait sous la forme d’un enfant aux ailes noires habillé en toge blanche.
En plus de ces aspects, Jean Louis Grinda module la dynamique de la pièce en alternant des scènes quasi-statiques, permettant de poser l’action et de concentrer le spectateur sur les réflexions métaphysiques telles que le chœur initial et final ou certains monologues de Mefistofele avec des scènes tourbillonnantes comme celles de la nuit de sabbat endiablée dans tous les sens du terme ou encore le début de l’acte 1 où la Pâque du livret est remplacée par le carnaval avec pour point d’orgue le défilé des sept péchés capitaux. Le placement des acteurs est pertinent : ils sont centrés au premier plan pour les moments clefs du drame (la mort de Marguerite, l’envol de Faust et Mefistofele regardant l’infini, Mefistofele se sacrant roi pendant la nuit de sabbat…) mais peuvent également jouer « en mezzo » en périphérie, ce que Nicolas Courjal fait d’ailleurs de façon délectable pendant la scène de Marguerite en prison. L’ensemble de ces facteurs conduit à une esthétique visuelle indéniable qui en synergie avec la musique de Boito trouve son paroxysme dans la pluie de pétales blancs s’abattant sur le chœur rédempteur final.
La mise en scène donne donc au drame de Boito tous les éléments qu’elle possède pour toucher le public mais elle se trouve particulièrement renforcée par l’interprétation musicale alliant puissance mystique et sensibilité lyrique.
Des chanteurs diaboliques
La voix de Nicolas Courjal correspond tout à fait à son personnage diabolique. D’une profondeur semblant tout droit sortie de l’outre-tombe, elle possède le léger grain de métal lui conférant son aspect surnaturel. Puissante, elle embarque le public dès la première réplique et ne lâche jamais. Le jeu est subtilement lesté pour souligner la portée dramatique des actions clefs. Il confère ainsi à la pièce par moment des reflets s’approchant presque de l’oratorio où le théâtre cède la place à une vérité religieuse. Il se fait également jubilatoire lorsqu’il se perd dans ses divagations monologiques, entraine la bacchanale de la nuit de sabbat au cours de laquelle il jette avec un mépris moqueur le globe terrestre ou encore rajoute des mimiques et petits gestes pour commenter l’action du fond de scène. Chantant avec très peu de répit du prologue à l’épilogue, il se révèle particulièrement endurant tout comme Jean François Boras, Faust de la distribution.
Jean-François Boras connaissait déjà le rôle de Faust pour l’avoir déjà chanté dans la production des Chorégies d’Orange. Il se montre ce soir à la hauteur de sa renommée. Le timbre est limpide et l’articulation soignée. Le débit est fluide et pertinent grâce à sa gestion du souffle. Les passages techniques sont exécutés sans accrocs notamment les transition franches des notes graves aux aigues dans la scène de séduction de Marguerite à l’acte 2. Il évite les emphases vocales et effets superflus pour un rendu des plus élégants.
La soprano Chiara Isotton incarne fidèlement l’innocence de Marguerite, aspect du personnage souligné dans son costume par la simple robe blanche à fleurs qu’elle porte. Agrémentant avec parcimonie son chant d’un vibrato maitrisé, elle rend les couleurs et les nuances de sa partition et se révèle pleinement dans son dernier air. Elle en comprend l’aspect progressif et intensifie progressivement sa voix comme son jeu jusqu’à son apothéose mortelle.
Béatrice Uria Monzon donne de l’épaisseur au personnage d’Hélène par l’émotion qu’elle met dans sa voix et la justesse du ton. Le regard et l’expression faciale sont aussi travaillés dans son jeu. Marie-Ange Todorovitch fait une Marthe espiègle et pétillante. Elle incarne également Pantalis métamorphosant complètement son jeu et même dans une moindre mesure sa voix. Andres Sulbaran est bien audible en Wagner, son duo scénique avec Faust est également fonctionnel, notamment dans la scène où ils sont suivis par le moine. Il assure par ailleurs le très court rôle de Nereo au quatrième acte.
Le chœur et l’orchestre du Capitole au septième ciel
Elément clef de Mefistofele, les chœurs jouent un rôle primordial dans le drame. L’écriture musicale de Boito est particulièrement fournie les concernant. Ils confèrent à la fois du rythme à la pièce comme ceux des villageois au premier acte ou ceux de la nuit de sabbat mais prennent aussi une grande part dans sa puissance morale avec ceux des anges et séraphins. Le chœur du capitole préparé par Gabriel Bourgoin est très coordonné et surtout nuancé marquant bien les crescendos dans le prologue. Ce sens de la nuance se retrouve également pour la maitrise dans les fluctuations rapides et chatoyantes du Siam nimbi volanti dai limbi. L’orchestre national du capitole dirigé par Francesco Angelico déploie la puissance nécessaire à la grandeur du mythe et des figures bibliques qu’il reprend. La synergie avec le chœur est efficiente. La progression est maitrisée tout au long de la pièce (et en particulier du prologue). La lenteur des tempi choisis permet de faire profiter le public de chaque subtilité de la partition tout en renforçant le caractère solennel de ce drame.
La production de Mefistofele de l’Opéra du Capitole rend donc toute sa signification à l’œuvre de Boito et son exploration du manichéisme. Le public ne tarit d’ailleurs pas ses applaudissements. L’humanité représentée par le brillant Faust de Jean François Boras est tiraillée entre la tentation du Mal absolu incarné par Nicolas Courjal dont la voix et le jeu ne peuvent laisser indifférent et un insaisissable Bien inlassablement miséricordieux dont les chœurs angéliques et l’orchestre du Capitole donnent un puissant aperçu. La mise en scène de Jean Louis Grinda, la direction musicale de Francesco Angelico ainsi que la qualité homogène du plateau transcende le public qui explore ses passions au travers de la scène et se persuade probablement du triomphe inéluctable du bien.