AccueilA la UneLe Prophète à Aix : le temps béni des utopies

Le Prophète à Aix : le temps béni des utopies

OPERA – Le « grand opéra » du prophète Meyerbeer fait son entrée, en grande pompe mais en version de concert, dans le répertoire du Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence. Placés sous la direction de Sir Mark Elder, le London Symphony Orchestra, des instrumentistes issus de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, le Chœur de l’Opéra de Lyon et la Maitrise des Bouches-du-Rhône, unissent leurs forces pour accoster sur ce nouveau continent.

On refait le monde

Le Grand Théâtre de Provence, dont les espaces se donnent comme d’immenses fonts baptismaux, accueille Le Prophète, le « grand œuvre » de Meyerbeer, d’une durée de près de quatre heures, plaçant définitivement le compositeur au fait de sa grandeur. Son livret, signé Eugène Scribe, capte le bouillonnement idéologique de son temps, la mitan du 19e siècle, berceaux des socialismes, des phalanstères et des utopies. Il s’inspire du questionnement, déjà présent chez Voltaire, sur les mécanismes de l’influence. De fait, l’œuvre est créée dans le sillage de la révolution de 1848, révolution démocratique, dans une société où chaque individu, en capacité de voter (ni les femmes ni les pauvres), devient une cible. Le long temps donné par Meyerbeer à l’œuvre permet de conduire un examen clinique des processus de communication et de suggestion qui sont en jeu.

Telle la musique du Prophète, l’idéologie prônée étant celle de l’anabaptisme, un courant issu du protestantisme luthérien qui pose la nécessité d’un second baptême. Le livret, placé à l’époque de la Réforme, en Westphalie, à Munster, évoque une révolution paysanne, qu’un leader, charismatique, conduit irrésistiblement et rapidement vers le pire : le fanatisme et le meurtre. De quoi penser aujourd’hui et situer ce spectacle dans le fil rouge principal du Festival : la manipulation des esprits, à échelle individuelle et collective.

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Grand Siècle

Tout est démultiplié, augmenté et diversifié, dans ce spectacle, notamment les effets visuels propres à la mise en scène, dont se passe la version de concert. Sont travaillées cependant les lumières et les compositions humaines que forment les artistes sur la scène, dans la salle et dans les coulisses. La scène déborde sur le hors-scène, pour des raisons matérielles et symboliques : manque de place et simulation d’espaces vastes et lointains, y compris dans la psyché du rôle-titre, comme pour Wozzeck. 

Sans compter les rôles vocaux, superlatifs, supersoniques, dont le premier n’est pas le rôle-titre, Jean de Leyde, mais sa mère, Fidès, distribué à la mezzo américaine Elizabeth De Shong – jadis Pauline Viardot et Marylin Horne… Se perçoit le travail de sa mâchoire inférieure, lui permettant de structurer impeccablement ses vocalises descendantes et de mordre la matière sonore. Jean de Leyde est confié au ténor de référence John Osborn, qui gagne, de tableau en tableau, assurance et puissance narrative, celle de la parole sacrée. Saisissant sur le plan vocal – lumière et pénétration – et corporel – rayonnement et mimiques, il cristallise les fantasmes de tout un peuple. Sa fiancée, la Berthe de la soprano Mané Galoyan, déploie un instrument puissant et délicat, épidermique, partant du point-son zéro, infinitésimal, pour atteindre progressivement la dernière marche de l’échelle, par de souples amplifications, pareilles aux longues vagues des océans, aux écumes de nacre. Autre super-voix, rare comme une panthère des neiges, que celle du comte d’Oberthal, confié au baryton-basse Edwin Crossley-Mercer.

Edwin Crossley-Mercer ©Vincent Beaume

Il choisit délibérément le plus bas étage de sa tessiture, caverne profonde dans laquelle tonne le tumulte du tyran. Dans ce drame de la masculinité – les deux femmes sont intègres – pas moins de six autres rôles se partagent la partition. Trois anabaptistes sont collés les uns aux autres comme les pointes d’un triangle orienté vers le bas (donc vers le mal). La basse impressionnante de rocaille, au vibrato incertain, de James Platt en Zacharie, le baryton cinglant/sanglant de Guilhem Worms en Mathisen, le ténor au vibrato électrique de Valerio Contaldo en Jonas, sont comme trois langues de feu. Des trois soldats, moins exposés, Hugo Santos, David Sánchez, Maxime Melnik, s’extrait ce dernier, ténor portant haut son message de héraut. 

De la musique, avant tout

La direction de Sir Mark Elder, à la tête – haute – du London Symphony Orchestra, est à la mesure du spectacle et des matériaux accumulés : solide, carrée, armée, habitée, engagée, endurante… véritable archétype de l’homme-orchestre, leader d’opinion charismatique, capable de canaliser les forces chaotiques du peuple-musicien, et de respecter le long souffle, l’haleine historique, de l’œuvre. 

À sa gauche, il tient de son grand bras, en forme de rotonde, le Chœur de l’Opéra de Lyon, massé puissamment côté jardin, souvent mis au travail de l’unisson grégorien. En cherchant davantage d’espace vers l’arrière, il y arrime la Maitrise des Bouches-du-Rhône, chœur d’enfants vibrant d’âme juvénile, dans la scène du couronnement. 

©Vincent Beaume

Le timbre orchestral du LSO est un écran de lumière dans la nuit, notamment lors du songe de Jean, ainsi que d’autres nombreuses scènes, hautes en couleurs, dans lesquelles la parole est prolongée par des instruments rares, tel l’ophicléide, la permanence des cymbales, la présence d’une Banda (Orchestre des Jeunes de la Méditerranée), tandis que l’orgue émet ses beautés verticales.

Les applaudissement prennent une ferveur quasi religieuse dans l’espace du Grand Théâtre de Provence, devenu, le temps d’un tableau, une cathédrale laïque, dédiée au pouvoir d’émancipation de l’Homme par le grand opéra.

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