FESTIVAL – Le violoniste Nemanja Radulovic et son ensemble Double Sens ouvre la 25ème édition de Lyrique en mer, festival international de Belle-Ile, avec un concert intitulé Roots, voyage initiatique à travers ce que l’humain sait faire de sublime : la musique.
Escale à Belle-Île
On m’appelle Jane Bonnie. Je suis corsaire au service du roi d’Angleterre sévissant sur toutes les mers du monde. En ce jour d’été, mon vaisseau « the flying irish girl » fait escale sur l’Ile bretonne de Belle Île, pour faire aiguade (prendre de l’eau) à la Belle Fontaine, un énorme réservoir d’eau douce conçu par le maréchal de Vauban, avant de rejoindre la mer des Caraïbes. Laissant mon équipage de forbans s’occuper de cette tâche, je flâne dans le port lorsqu’une mélodie lointaine se fait entendre. Je reconnais un air familier de mon Irlande natale qu’il m’arrive encore de jouer sur le fiddle que m’a légué mon défunt père. Guidée par le son enjoué, j’arrive au jardin du Bois Génie où se trouve un groupe d’une quinzaine de musiciens dont le chef a des allures de Barbe-Noire. Discrètement, je prends place parmi les nombreux spectateurs, habitants de l’île et marins de passage.
Tour du monde
J’apprends de mon voisin, un aristocrate de l’île, que ce musicien se nomme Nemanja Radulovic et arrive de Serbie. Ravi d’être sur l’île, il aime ses habitants et sa nature « incroyable » .
Dans son programme intitulé Roots (racines), il explore la musique du monde à travers une collection de miniatures stylistiquement variées, soutenu par Double Sens, un ensemble d’amis musiciens provenant de France et des Balkans. Avec aisance, un souci constant d’équilibre, de complicité avec ses acolytes, il aborde tous les violons du monde, alternant les morceaux et les atmosphères.
Dans « Butterfly lovers », il infléchit la mélodie orientale avec délicatesse pour une adaptation envoutante de ce concerto pour violon en provenance de Chine. Il virevolte d’une danse à une autre alternant des legato soyeux, des dynamiques contrastés nous menant en Argentine, Autriche, Italie, Grèce, Russie,Serbie. Avec son complice et guitariste Aleksandar Sedlar, ils ont écrit des arrangements subtils autour de ces musiques folkloriques, permettant des effets contrastés au niveau des textures, des nuances, pour une palette d’émotions vaste comme le monde. Mon coeur de pirate verse une petite larme lors du solo de guitare de « Manha de Carnaval »(Brésil), vibre au chant intense de Ksenija Milosevic, tourbillonne aux rythmes des danses tziganes.
Un nuage passe…
Malheureusement, la pluie qui se met à tomber provoque une forte humidité et entraîne un souci d’accroche sur la corde et une difficulté à maintenir le délié, contraignant le musicien de ne pas jouer un chant bosniaque, celui-ci demandant trop de nuances. Même si l’annonce est faite avec le sourire et une pointe d’humour, on perçoit l’inquiétude sur les visages et la gêne s’intensifie après l’entracte, entraînant une reprise de la valse musette, l’archet adhérant mal sur les cordes.
Le public, lui, s’encapuchonne et résiste joyeusement, habitué au crachin de cette contrée. Les morceaux s’enchaînent plus rapidement, voire sans pause. Les musiciens font preuve de virtuosité pour passer d’un monde à un autre, s’assimiler à une culture en un temps éclair.
Après le violon chinois, le violon manouche, le violon classique (à travers les danses espagnoles de Manuel De Falla) Nemanja Radulovic, qui a plus d’un tour dans son sac, sort un 2ème violon accordé à la façon du violon indien (4 cordes accordées sur la même note sol à une octave d’écart) pour interpréter une musique traditionnelle du Rajasthan. Il Imite aussi le koto en pinçant les cordes avec un médiator pour suggérer une tendre berceuse japonaise.
Le concert se termine en apothéose par un Mambo cubain faisant chalouper musiciens et auditeurs dans un bel esprit communicatif.
Ne pas oublier d’où on vient
Intriguée, encore sous l’emprise de son regard magnétique, je ne peux pas partir sans connaître les intentions du musicien et me joins furtivement à une discussion. J’y apprends que c’est lors d’une épidémie où tout déplacement fut interdit, dans l’incapacité d’interpréter son répertoire habituel que le violoniste a exploré la musique du monde et conçu ce programme. Ayant fui son pays à cause de la guerre, il a une croyance absolue dans la transcendance de la musique. Elle rassemble, abolit les frontières, unit les hommes. Je comprends alors que Roots, ce sont nos racines, ce que nous avons au plus profond de nous-mêmes.
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Touchée par tant d’humanisme et par tant de grâce, je décide de ne pas reprendre la mer, de donner mon bateau à mon équipage et de leur rendre la liberté. Sans prendre racine à Belle-Ile, je rejoins alors ma patrie pour aller y cultiver mon jardin et jouer du fiddle avec mes amis.