CONCERT – De Bach à Benjamin Attahir, en passant par Debussy et Ravel, les époques se croisent et les heures s’envolent en écoutant le Quatuor Arod à l’Orangerie de Sceaux.
Bach, leur “morning routine”
La soirée s’ouvre par un choral de Bach, quelques minutes en apesanteur avec lesquelles le Quatuor Arod a l’habitude de commencer ses journées de travail. Chacun tient sa ligne dans cette écriture contrapuntique où les voix sont à égalité, osant un son presque non vibré, pour se réveiller et se chercher de part et d’autre des pupitres. Une mise en appétit avant le programme qui suit, celui que les musiciens viennent d’enregistrer pour un prochain album, comme ils nous l’expliqueront après l’entracte. Une musique française où se retrouvent deux grands classiques, le Quatuor de Debussy et celui de Ravel, face à Al Asr de Benjamin Attahir, écrit spécialement pour les musiciens et créé en 2017.
Al Asr, le soleil de l’après-midi
C’est justement avec ce quatuor de Benjamin Attahir que s’ouvre la soirée : le public découvre une écriture dense, qui tient en un seul mouvement, hommage à la prière de l’après-midi dans la tradition musulmane. Benjamin Attahir évoque dans Al Asr le soleil écrasant de cette heure du jour mais aussi la 103e sourate du Coran, qui traite du temps et du devenir des hommes. Un style personnel, toujours inventif et imagé, entre accélérations vertigineuses et répits méditatifs, diversité des modes de jeu et gammes orientales. Cette musique propre à créer des images et une narration va comme un gant au Quatuor Arod : totalement investis dans une partition dont il maîtrise chaque difficulté, le temps s’envole à son écoute.
Debussy dans l’ombre de la nuit
Debussy et Ravel : deux quatuors souvent rapprochés, deux oeuvres de débuts de catalogue composées par des musiciens de près de 30 ans, et deux personnalités pourtant bien distinctes. D’où vient ce soir ce sentiment de légère fragilité dans l’opus 10 de Debussy ? La mayonnaise sonore a du mal à prendre dans les deux premières mouvements, le son des instruments s’entrechoque plutôt qu’il ne se mêle alors que les prises de paroles du second violon sont parfois étrangement timides. Cette fragilité ternit un peu l’esprit du deuxième mouvement mais elle réussit bien davantage dans le nocturne “Doucement expressif” du troisième, où les Arod nous tiennent en haleine de bout en bout, osant aller jusqu’au souffle et au murmure.
Ravel matin
Magie de l’entracte ? Le sol est de plus en plus plus ferme chez Ravel, la structure harmonique du son se densifie, tout paraît plus juste : en gros ça sonne ! On admire sans crainte, jusqu’à l’accident bête, la corde du premier violon qui cède aux pizzicati du premier mouvement. Rien de grave, et après la réparation qui s’impose, les musiciens repartent de plus belle, nous offrant une lecture brillante, inspirée et jeune. On admire : magnifiques aigus du premier violon, second violon éloquent, lancinants appels voilés de l’alto et violoncelle aux phrasés chaleureux. D’ailleurs le public qui applaudit avec enthousiasme aura le droit à deux bis : une version pour quatuor de l’Adagietto de L’Arlésienne de Bizet et le Menuet du quatuor Les Quintes de Haydn.
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