DANSE – Qui aurait cru que l’œuvre d’un chorégraphe américain incarnerait si bien notre art français de la dialectique ? Tour à tour ludique, poétique puis comique, ce ballet ravira les amateurs de rimes en « –ique », mais surtout tous les asthmatiques qui attendaient avec impatience un bon dépoussiérage de la danse classique.
Thèse, anti-thèse, synthèse
Ce spectacle, ce sont deux thèses bien distinctes et un dépassement final : un rythme ternaire en trois parties, trois sous-parties promptes à réjouir l’instituteur qui sommeille en nous tous. Il commence par En sol, bleuette acidulée où s’ébattent les baigneurs ; puis suit In the night, retour mélancolique sur l’obscure clarté d’un couple et son intimité ; et enfin The Concert, ovni réjouissant où fraîcheur du premier et beauté du second fusionnent en un mouvement étonnamment drôle et irrévérencieux. Cette osmose inattendue se vit jusque dans la musique, loin des ballets classiques qui déclinent une partition et une narration déjà construites et homogènes. Ici, la composition joue des contrastes : un Ravel vif et jazzy interprété par un orchestre fourni en pièce inaugurale, pour la suite un Chopin intimiste aux Nocturnes éclairées par une unique pianiste, et enfin pour la synthèse finale du Chopin toujours, mais alternant cette fois-ci entre orchestre allègre et soliste altière qui, partie intégrante de la comédie, trône sur scène.
Le meilleur des mondes possibles
Certes, tout n’est pas parfait, mais c’est là que la dialectique est bien pratique. Imperfections et petits loupés paraissent intentionnels, comme si le spectacle en nourrissait sa montée en puissance. En sol c’est la thèse : originale, appétissante, mais pas tout à fait bien construite. On y sent le néo-classicisme de Robbins et sa recherche d’un mouvement plus droit, plus anguleux, façon gravure des années trente, qui ne réussit pas toujours. Quelque chose dans la joie des danseurs peut paraître forcé. On en vient à se demander si la danse ne se prêterait pas mieux à l’expression de passions et de tourments qu’à cette joyeuseté ingénue. In the night, avec son retour à une esthétique du geste plus classique et sa délicatesse de sentiment, semble le confirmer. Pourtant, dans The concert, ces doutes sont balayés. Les danseurs deviennent acteurs. Le mime, bien qu’exagéré, sonne vrai, le rire de la salle est franc et les mouvements, intentionnellement mi grotesques, mi imparfaits, sont jouissifs.
En ouverture : foncez !
Jerome Robbins à l’Opéra de Paris, c’est un de ces rares moments où une vieille institution, temple de cet art parfois poussiéreux qu’est le ballet classique, vous revigore, vous surprend et vous réjouit. C’est beau, c’est rafraîchissant, c’est amusant. En un mot : foncez !