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Mozart – Tchaïkovski à Aix : passion majuscule

CONCERT – Le duo formé par la cheffe Débora Waldman et le pianiste David Kadouch déploie un diptyque d’œuvres traversées par l’épanchement pudique de leurs compositeurs, Mozart et Tchaïkovski, servies avec élégance par l’Orchestre national Avignon-Provence. 

La première œuvre programmée, le Concerto pour piano n°24 (1786), rarement jouée, se pare d’une tonalité mineure de circonstance, aux effluves d’opera seria, préfigurant la deuxième partie du programme, la Symphonie n°6 (1893) dite « Pathétique » de Tchaïkovski. Dans les deux cas, la passion, qui nourrit et consume l’être en même temps, est le premier moteur.

Mozart à la barre
Deborah Waldman © Lyohdo Kaneko

Débora Waldman, native de São Paulo, fait date dans le monde de la direction musicale en France, en tant que première cheffe d’un orchestre national. Dissimulée derrière le couvercle du piano, elle s’emploie à doucement chauffer l’orchestre, depuis une battue que l’on devine précise. Les cordes, aux essences boisées diverses, sont ciselées : fine dentelle sur laquelle se pose une petite harmonie moussue puis moelleuse. La longue introduction orchestrale exprime, sous sa baguette, toute l’exquise politesse de la musique de Mozart, amenant l’instrument soliste sur le devant de la scène, après avoir pris toutes les précautions rhétoriques du style classique.

Le pianiste, dès lors, peut entrer dans l’épaisseur tragique de la tonalité mineure, avec un toucher de velours. Pédale généreuse et jaillissements cristallins se nourrissent réciproquement. L’ampleur tranquille des parties concertantes et les dialogues fervents avec l’orchestre relèvent des deux formes de relation, contrastées et profondément vivantes, que le pianiste entretient avec les musiciens. La virtuosité se dissémine entre gammes, arpèges, trilles et autres figures cadentielles par lesquelles triomphe le langage tonal. Mais jamais elle ne se cantonne à leur dimension décorative ou spectaculaire. Tour à tour le piano sonne, chante et sculpte, depuis le geste régulier du bras et de la main, les phrases les plus inspirées du courant préromantique, ombrageuses selon le 18e siècle, hypersensibles selon le 21e siècle. 

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Le pianiste prend physiquement part à la globalité de la partition. Il intervient moins comme un soliste que comme un miroir de la diversité de timbre et de texture de l’orchestre. La pédale, délicate chez Mozart, est utilisée par David Kadouch non pas comme une extension de la note, mais comme une voix supplémentaire. Le pianiste travaille et pétrit le gras du son fondamental, qui semble avoir trois strates, du grave à l’aigu : matière, chant et lumière. 

Kadouch joue avec les oreilles avant de jouer avec les mains ! 

La cadence est l’occasion de donner de l’espace à son instrument. Le mouvement lent est d’une belle eau, transparente, évidente, dans laquelle le soliste semble nager, soucieux de tenir la ligne de chant, d’échanger avec l’efflorescence des vents. La musique semble s’extraire du monde de la matière. Elle y replonge dans le troisième mouvement, avec son thème finement clouté, grains d’or saupoudrant le solo ardent du basson. Kadouch joue avec les oreilles avant de jouer avec les mains ! 

David Kadouch : le sacre du tympan © Marco Borggreve

Un bis, tout en simplicité et intériorité : une mélodie de Fanny Mendelssohn, en référence à son dernier enregistrement consacré aux Musiques de Madame Bovary, chez Mirare en 2022.

Tchaïkovski au tapis

De l’orchestre au grand complet émergent les premières notes de la symphonie dite « pathétique », comme du néant. Les cordes, en particulier, trouvent des différenciations plus fines que dans Mozart, et c’est la lisibilité, la transparence, la précision dans les échanges entre pupitres qui est recherchée et obtenue par Débora Waldman, qui dirige sans partition. 

Il y a quelque chose de profondément élégant dans sa relation à l’orchestre, comme si elle cherchait à faire défiler la musique, le mieux possible, mais sans trop y ajouter elle-même. Il y a quelque chose de distant, de cinématographique, dans sa relation à l’orchestre, comme si elle cherchait à coller le plus possible à l’action, l’orchestre étant un somptueux grand écran. Un tel recul est ce qui lui permet, précisément, de doser les alliages sonores au millimètre près, comme d’obtenir de sa phalange de grandes marées sonores, des vagues de timbres et de motifs déferlant de manière obsédante. Plusieurs fois, le réveil de la musique, après avoir atteint de tels sommets, s’entend comme de la musique contemporaine, du Ligeti ou de la musique spectrale, ce qui permet d’écouter « à neuf » cette œuvre du grand répertoire romantique, d’en percevoir des trésors d’orchestration cachés. 

Le public entend cela avec des étoiles dans les oreilles et applaudit longuement la cheffe qui souligne d’une main tendue vers tel ou tel pupitre de sa phalange ce beau travail collectif. 

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