HOMMAGE – Du 4 au 8 novembre, Krzysztof Penderecki (1933-2020), qui aurait eu 90 ans en novembre, est commémoré par trois scènes musicales niçoises : l’Opéra, le Musée Chagall et le Conservatoire, pour une série de concerts conçus par le clarinettiste Michel Lethiec, proche du compositeur polonais. À l’opéra, le Concerto doppio, pour flûte, clarinette et orchestre, l’une de ses toutes dernières œuvres (2018), est donné en création française, au centre d’un diptyque symphonique et romantique : l’Ouverture Les Hébrides de Mendelssohn et la Symphonie n°5 de Tchaïkovski.
Les Hébrides de Mendelssohn : entre roche et eau
L’œuvre initiale du programme, placée sous la baguette de la cheffe polonaise Anna Sułkowska-Migoń, lauréate du concours de direction d’orchestre La Maestra en 2022, a été composée pendant les années de voyages en Écosse du compositeur. Mendelssohn abreuve sa plume à même la puissance évocatrice de la nature dont il arpente les reliefs les plus sauvages. Une évocation océanique s’oppose à la rudesse de la roche, celle qui fait front à la mer, sous la forme abrupte de la falaise, celle qui forme la paroi de la grotte – celle de Fingal, située sur l’île de Staffa, visitée par le compositeur. Il exprime ce contraste élémentaire sous la forme bi-thématique de la sonate, le développement étant le point de friction et d’exaspération des forces les plus opposées de la nature.
C’est cette diversité et cet équilibre que doit s’efforcer de restituer l’interprétation de la phalange niçoise. La battue fluide et sinueuse de la cheffe entre de plain pied dans la matière onirique, lançant les forces rotatives de l’orchestre. Elle en obtient, côté maritime, les saisissantes et énergiques amplifications qui font de la phalange un cœur battant. S’y confrontent les rythmes martiaux, émanant des solides et rocailleuses fanfares des vents, qui finissent immanquablement par se dissoudre dans la fluidité des cordes, les pupitres se fondant les uns dans les autres jusqu’à l’exacerbation finale des cordes.
Le Concerto Doppio de Penderecki : entre lumière et obscurité
Les solistes de la création mondiale, le flûtiste Patrick Gallois et le clarinettiste Michel Lethiec, sont réunis à nouveau pour la création française de l’œuvre, en hommage au compositeur polonais. L’opus concertant de Penderecki, compositeur à la carrière transatlantique, est imprégnée par le nouveau monde cinématographique. Sa musique, au pouvoir évocateur, semble composée non pas depuis le paysage naturel, mais depuis son image, avec sa capacité propre à produire tension, voire suspens, détente, voire extase.
L’interprétation qu’en livrent les forces scéniques de la soirée fait penser au cinéma d’Hitchcock, au pointillisme du montage, en écho à la ligne discontinue de la flûte et de la clarinette, dès les premières notes, jouées a cappella. Les deux solistes se cherchent, avancent à tâtons, avant que l’orchestre les rejoigne, et les enveloppe de leur grave saisissant (clarinette basse, contrebasson, tuba, etc.). La musique de Penderecki est orientée vers les racines de la terre, creusant elle aussi, à sa manière, une grotte inhospitalière et fascinante. Sa musique de scène est celle du grand frisson (L’exorciste, Shining, Schutter Island).
S’y confronte la lumière des instruments solistes, mais également du piccolo et du célesta, l’ensemble tissant une étoffe précieuse, luxuriante par moment, comme quand le soleil vient affleurer la paroi abrupte de l’orchestre. La musique vibre et tressaille, et afin que l’auditeur ne perde pas pied dans cette matière océanique, se dote de rythmes au binaire caractérisé.
La Symphonie no 5 de Tchaïkovski : du port d’attache au grand large
La deuxième partie du concert plonge dans le grand répertoire du romantique tardif (1888), en un jeu d’écho serré avec les deux œuvres précédentes, également contrastées. Le solo du cor du deuxième mouvement en est la clé de voûte en même temps que celle des songes, magnifiquement interprété (Julien Heisse). Les vents se confrontent aux larges tutti orchestraux. Leurs grandes cadences sont réitérées de manière obsessionnelle, traduisant le joug du destin, auquel ne peut que se soumettre le compositeur.
Un même souffle lyrique relie les quatre mouvements, en plus du thème cyclique de la « Providence », qui selon un même schème, tente de s’élever, de lutter contre la pesanteur, pour finalement s’engouffrer dans le grave définitif des roulements de timbales (préfigurés par le trombone basse et le tuba). La version que donne la cheffe polonaise de la symphonie restitue le poids et la densité de la matière-musique, qui parvient, au prix d’une énergie considérable, à être transcendée. À cette fin, elle régule avec précision les engagements dynamiques de chaque pupitre, sans rubato ampoulé, tous se heurtant au mur du son.