OPÉRA – Oya Kephale fait place aux amateurs (mais pas que), dans le sens le plus noble du mot ! Remettant chaque saison sur le métier une partition d’Offenbach, cette année, c’est l’ambitieuse Mme Favart que la troupe illumine, avec la joie sans mélange de ceux qui ne voient pas la scène comme un “métier” mais comme une aventure.
Mme Favart : késako ?
Deux mots sur l’opérette (ou plutôt “l’opéra-bouffe”) d’Offenbach qui ne fait pas partie des plus connues ! Deux couples : d’un côté Mme et M. Favart, des gens de scène un peu délurés, de l’autre deux jeunes amoureux de comédie, Hector et Suzanne. Disons pour faire simple que M. et Mme Favart, traqués par un Maréchal de Saxe vexé que cette dernière n’ait pas cédé à ses avances, se retrouvent dans une auberge où leurs destins croisent ceux d’Hector et de Suzanne : s’ensuivent poursuites, séductions, déguisements, quiproquo, répétitions théâtrale (M. Favart étant auteur) et performance vocale (Mme Favart étant cantatrice). Une intrigue qui préfère le sourire complice à la tension dramatique et une musique qui sait se faire tour à tour entraînante ou charmante.
L’énergie d’une troupe
Ce qu’il y a de touchant dans les productions d’Oya Kephale, c’est de sentir l’énergie qui émane d’une troupe : les petits manques de précision musicale ou les maladresses scéniques (bien naturelles !) font partie du charme de la soirée et sont amplement rachetées par un pur bonheur d’être sur scène qui transparaît à chaque instant. Aux saluts, quand se serrent sur la scène (pourtant grande) les solistes, le choeur, le chef, l’équipe de mise en scène et même l’orchestre, on sent toute la puissance rayonnante de ces heures passées ensemble à travailler, organiser, répéter… C’est surtout le choeur qui, évoluant dans les décors de Juliette Peigné avec sur le dos les costumes colorés de Marie Leclerc, apporte cet enthousiasme : voix jeunes et claires, regards attentifs sur le chef et surtout plaisir de jouer !
La grâce plutôt que la perfection
Côté solistes, chacun tire son épingle du jeu, apportant un petit moment de grâce à la soirée.
- C’est par exemple la voix souple et bien posée d’Amandine Lavandier en Mme Favart, un petit sourire au coin des lèvres malgré l’ampleur du rôle.
- C’est le regard tout à la fois futé et ingénu de Gabriel de Masfrand qui montre le charme de sa voix de ténor au détour de son air d’Hector à l’acte II,
- C’est encore ce timbre lumineux qui brille par instant dans les aigus de Charlotte Ferraroli.
- On retient également la gouaille de Marcel Courau, qui s’empare avec un bel appétit de ce M. Favart, ou bien la liberté scénique de Frédéric Ernst, joyeusement pervers, mais également le charme de Daniel Ladaurade, qui apporte la noblesse de son timbre et de sa présence bonhomme au Major Cotignac.
- Autour d’eux, la foule des petits rôles rayonne du même plaisir, certains ne manquant pas d’aplomb pour leurs premiers pas scéniques.
L’émotion et la précision
Cela dit, cette énergie collective, il faut lui donner forme : c’est le rôle du chef et de l’équipe de mise en scène. Depuis la fosse, Pierre Boudeville anime ainsi un orchestre qui semble se bonifier au fil des années : le son prend de l’ampleur, l’équilibre avec la scène est parfait, et les pupitres trouvent davantage de cohésion entre eux. Attentif aux chanteurs, le chef sait en outre rattraper d’un geste calme les petits décalages que causent l’émotion. La mise en scène d’Emmanuel Ménard (assisté d’Audrey Garcia-Santina) vise juste : moins éthérée que certaines productions de la troupe d’il y a quelques années, elle apporte de la chair et de la cohérence à l’intrigue, alternant gag et émotion, avec une lecture précise des enjeux du livret, comme l’illustre ce choeur de femmes repoussant en cercle le Marquis de Pont Sablé ou bien le deus ex machina final qui prend les traits de Jacques Offenbach lui-même. Enfin, la masse du chœur est gérée avec tact : des groupes se dessinent, des caractères également, sans que l’intrigue devienne illisible. Le public applaudit avec force la performance collective et l’aventure humaine qui transparaît dans près de 2h40 de spectacle. Quelle aventure…