CONCERT – Dimanche 2 novembre 2025, à l’Abbaye de Royaumont, on a pris la Manche sans bouger de son siège. Sous le titre “Paris-Londres”, la violoncelliste Astrig Siranossian et le pianiste Nathanaël Gouin ont embarqué le public dans un voyage musical entre deux pays, sous le signe de la curiosité et de la redécouverte.
Avant le concert, une rencontre avec les artistes à 14h donne le ton : sourire rayonnant, complicité évidente, et surtout un credo partagé : jouer ce qu’on ne connaît pas encore, mais seulement si cela nous touche. “Exhumer des partitions inédites ne suffit pas, il faut les aimer”, confient-ils, rappelant que leur projet repose d’abord sur l’émotion et non sur la rareté. Les disques (enregistrés non pas sur le Fazioli de scène, mais sur le Steinway de la bibliothèque La Grange-Fleuret à Paris – Salon Mahler) trônent à la sortie, prolongement tangible d’une aventure où la recherche devient art.
Boulanger décoiffe Britten
Les hostilités s’ouvrent avec trois pièces de Nadia Boulanger, pleines de mordant et de vitalité, de quoi réveiller toute l’abbaye. Le dialogue entre les deux musiciens est d’emblée précis, dynamique, presque orchestral.
Puis vient Britten, et son monde radicalement différent. Sa Sonate pour violoncelle et piano en cinq mouvements impose d’autres codes : pizzicati ciselés, attaques feutrées, cordes frappées et respirations parfois audibles, mais jamais parasites, plutôt des signes d’une présence physique du violoncelle, presque humaine. Le premier mouvement s’achève sur une harmonique texturée, suspendue comme une voix. Les suivants s’aventurent vers l’acrobatie : gestes éclatés, rythmes inversés, jeu de miroir entre les deux interprètes. Le quatrième mouvement recentre le dialogue, tout en écoute et en respiration. Le cinquième, véritable feu d’artifice de nuances et de registres, referme ce moment d’expérimentation sonore avec une intensité rare.
Jean Cras, entre deux tempetes
Place ensuite au compositeur Jean Cras (prononcer “CraZ” !), marin breton et compositeur à ses heures. Sa sonate, présentée par Astrig Siranossian comme “dans la vague”, évoque justement ce calme suspendu entre deux houles. L’interprétation, très chargée émotionnellement, enveloppe le public dans un flux quasi hypnotique. Rien ne chavire, mais tout tangue : un équilibre fragile, touchant, qui finit par nous déposer sur le rivage, comme une écume apaisée. Une partition qui, loin de couler, fait chavirer les cœurs.
Marcelle Soulage, la découverte manifeste
Pour conclure, les musiciens rendent justice à une compositrice oubliée : Marcelle Soulage, ancienne élève de Nadia Boulanger, dont la Sonate pour violoncelle et piano (prix de la Société française de musique en 1920) attend toujours sa publication. Œuvre dense, spirale, bâtie autour d’un motif de quatre accords descendants repris et transformés d’un mouvement à l’autre, elle impressionne par son architecture et son souffle. Le premier mouvement, se clôt dans un véritable climax. C’est un choix fort : au-delà de la virtuosité, une revendication en faveur des créateurs et créatrices trop longtemps relégués aux marges du répertoire.
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Pas de bis mais la promesse − glissée malicieusement − que pour prolonger l’écoute, il suffit d’acheter le disque ! Le public, conquis, applaudit généreusement ce duo d’archéologues inspirés. Pendant une heure et demie, Royaumont aura offert une traversée entre Paris et Londres, mais surtout entre passé et présent, où la curiosité musicale devient un acte poétique.
Demandez le programme !
- B. Britten – Cello sonata op. 65
- J. Cras – Sonate pour violoncelle et piano
- M. Soulage – Sonate en fa dièse mineur, pour violoncelle et piano
- N. Boulanger – Trois pièces pour violoncelle
