Compte-Rendu – Un vent de fraîcheur se lève sur le Gstaad Menuhin Festival ! Après deux années perturbées par l’épidémie de Covid-19, qui a forcé les organisateurs à d’abord annuler l’édition 2020, puis à réduire les jauges habituelles en 2021, le festival est de retour à 100%. Après Paris et Londres, la 66ème édition met à l’honneur le riche héritage musical de la ville de Vienne. Première étape de notre périple à Gstaad : le récital de la pianiste Pallavi Mahidhara.
Niché au cœur des Alpes suisses, Gstaad est devenu d’abord dans l’imaginaire collectif une station de ski de la jet-set mondiale. Ce n’est pas pour rien que ce village comprend de nombreuses boutiques de luxe et qu’un aéroport a été construit récemment pour faciliter la venue d’une élite mondialisée, qui n’a semble-t-il pas encore pris conscience de l’urgence climatique. Mais, l’été venu, Gstaad accueille depuis 1957 un festival de musique classique prestigieux, qui est devenu l’un des incontournables pour les musiciens et les mélomanes.
Des pistes de ski aux salles de concert
La programmation du Festival de Gstaad, qui s’étend sur six semaines de la mi-juillet à début septembre, est toujours d’une grande qualité et d’une grande cohérence, avec un fil rouge choisi chaque année. S’il y a un léger reproche à faire, c’est dans l’absence assez flagrante de compositrices dans le répertoire des concerts et une programmation qui dans l’ensemble sort peu des sentiers battus.
Le mercredi 17 août dernier, le concert organisé dans la ravissante petite église de Rougemont propose au public d’entendre à la fois une interprète inconnue, la jeune pianiste indo-américaine Pallavi Mahidhara, ainsi qu’un programme équilibré entre pièces célèbres et raretés à découvrir, comme l’explique la pianiste :
« Quand Christoph m’a dit qu’il y avait le thème de Vienne, j’ai cherché des compositeurs ayant un lien avec cette ville. J’aime avoir un arc narratif dans le programme, être capable de raconter une histoire et aussi programmer des pièces moins jouées. Bach est l’un des compositeurs les plus célèbres, mais peu jouent la transcription de la Chaconne par Brahms. J’ai voulu l’associer à des pièces très connues, comme la sonate n°12 de Mozart et les rhapsodies de Brahms, qui sont des œuvres plus standard, mais toujours agréables à entendre, et aux 12 Variations sur un thème original de Berg, tonales et romantiques, qui sont si différentes de ce que nous attendons normalement de Berg. »
C’est dans des conditions atmosphériques spectaculaires, alors qu’une tempête vient de se lever à l’extérieur de l’église, et qu’une brume irréelle enveloppe progressivement le paysage alentour, que Pallavi Mahidhara se lance avec concentration, rigueur et détermination dans ce programme éclectique de musique viennoise des XVIIIe, XIXe et XXe siècles.
Une interprète est née !
D’emblée, lorsqu’elle commence à jouer la transcription par Johannes Brahms pour la main gauche de la célèbre Chaconne de la Partita n°2 pour violon de Bach (1881), on est frappé par le son mat, dense et profond de son jeu, ainsi que par son sens de la structure musicale et des articulations. Mahidhara construit avec patience et minutie son interprétation, déploie progressivement toute une palette sonore variée et nous donne l’impression d’entrer avec elle dans une quête intérieure.
Changement d’atmosphère avec la Sonate n°12 de Mozart (1784), une œuvre théâtrale et lyrique, composée par Mozart après son installation à Vienne. Le jeu de Mahidhara impressionne encore par son intelligence musicale, la netteté de son articulation, son sens de la construction, et sa capacité à déployer un arc narratif, qui nous permet de l’accompagner dans l’exploration de l’œuvre. Son jeu très droit, sans effet inutile, mais pas sans affect, assez sombre en terme de timbre, est très vivant. La pianiste donne une interprétation dramatique et lyrique de cette sonate, qui tranche avec des interprétations plus claires et transparentes auxquelles nous pouvons être habitués, mais qui est très pertinente pour l’inspiration pré-romantique Sturm und drang de cette oeuvre.
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« Le jeu de Mahidhara impressionne par son intelligence musicale »
On traverse ensuite les siècles pour découvrir une œuvre rare d’Alban Berg, 12 variations sur un thème original (1907). Ce cycle de variations est une œuvre très déconcertante, car elle est différente de l’idée de la musique de Berg. Tonale et d’inspiration romantique, elle n’est pas sans rappeler Liszt ou Rachmaninov. Sous les doigts de Pallavi Mahidhara, ces variations furent un moment de virtuosité et de lyrisme intenses.
Pour conclure ce riche programme, Mahidhara a donné une interprétation pleine de fougue et de panache des deux Rhapsodies opus 79 de Brahms (1879), avant de jouer en bis le premier mouvement de la Sonate pour piano n°14 « Au Clair de Lune » de Beethoven (1801), tout en délicatesse et en faisant ressortir la pulsation intérieure de la musique. Dehors, la tempête est finie, le calme est revenu, la nature est apaisée et régénérée.
Voici, assurément, des débuts prometteurs pour cette jeune musicienne, que nous aurons beaucoup d’intérêt à suivre dans les années qui viennent. Elle a d’ailleurs été récompensée à la fin du concert, en recevant le premier prix Olivier Berggruen 2022. Ce prix créé par le mécène et conseiller artistique du festival, Olivier Berggruen, ainsi que le directeur du festival Christoph Müller vise « à reconnaître le talent et l’art de jeunes musiciens ayant récemment participé aux concerts « Jeunes Étoiles » du festival de Gstaad ». “Nous adorons chez Pallavi Mahidhara sa capacité à jouer d’une façon extrêmement claire, bien articulée avec un sens de la structure, et un très beau son, tout en faisant des programmes tout à fait originaux et d’une très grande qualité”, nous a expliqué Olivier Berggruen.
Le festival Yehudi Menuhin de Gstaad se poursuit jusqu’au 3 septembre 2022. Information et réservation sur le site du festival : https://www.gstaadmenuhinfestival.ch/fr
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