COMPTE-RENDU – A l’occasion de l’ouverture du festival ArsMusica à Bruxelles, Bozar invite son public à se plonger dans les rouages de l’opus Magnus du maître allemand Fritz Lang : Metropolis 1927.
Metropolis Rebooted : késako ?
Expressionniste et anticipatoire, le film de science-fiction muet Metropolis est une plongée dans les diatribes d’une musique illustrant l’image animée, quand les machines rouillées, le béton amer et le futur distopique paraissent « totalitairement » esthétiques.
À Bruxelles, BOZAR invite son public à se plonger dans les rouages de l’opus Magnus du maître allemand Fritz Lang. Expressionniste et anticipatoire, Metropolis 1927 se pare d’un chromatisme bien particulier grâce à la musique du compositeur argentin Martin Matalon et du philharmonique de Bruxelles sous la direction d’Ilan Volkov.
Dans la salle Henry LeBoeuf du Centre artistique BOZAR, le film est projeté derrière l’orchestre qui s’agite devant l’opus monumental de Fritz Lang. Martin Matalon a su tisser un contrepoint entre image et musique, en s’appuyant sur l’ossature rythmique fournie par le dernier montage du film.

Retour vers notre futur.
Initialement commandé par l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) et l’Ensemble Intercontemporain à l’occasion d’une exposition sur le thème urbanistique de la ville, Metropolis Rebooted présente une version particulière du film. Retrouvée en 2010 dans les décombres d’une bibliothèque argentine puis restaurée par la Fondation Friedrich-Wilhelm-Murnau, la nouvelle version révèle un film plus long, plus complet dans sa narration, qui dépasse ainsi les 80 minutes. Déjà mis en musique par les compositeurs comme Gottfried Huppertz (compositeur original de la version de 1927), Giorgio Moroder, Jeff Mills jusque Martin Matalon, il est nécessaire de rappeler que Metropolis était considéré comme un échec critique et commercial tandis qu’il est le film le plus cher de l’histoire du cinéma à sa sortie. Très vite remisé, il retrouve progressivement son statut de chef d’oeuvre jusqu’à en être considéré comme pièce maîtresse, puisqu’il devient en 2001 le premier film inscrit sur le registre international Mémoire du monde de l’UNESCO.
« Metropolis est une merveille d’art visuel, chaque niveau se suffit à lui seul. Le rythme du montage est époustouflant, et le clair-obscur, les décors, le contenu même des images y rencontrent souvent la musique. » – Martin Matalon
Metropolis témoigne pour Fritz Lang d’une passion visuelle pour le rideau de béton urbain, la brillance des buildings verticaux Art-déco, pré-brutalistes. Inspiré par l’artiste Paul Citroen et ses photomontages intitulés eux aussi Metropolis (1923), son histoire est tirée du livre co-écrit de Thea von Harbou, épouse de Fritz Lang, trop souvent oubliée.
Histoire
L’histoire de Metropolis se déroule à la fin des années 30. Le monde est divisé entre les Intellectuels qui vivent dans la ville Haute tandis que les Travailleurs de la masse prolétaire vivent dans la ville basse, au coeur de la suie et des machines assourdissantes (qui figurent un Moloch Bahal qui avalent les ouvrier sacrifiés). Lassés de cette situation totalitaire, les ouvriers se révoltent, menés par Maria, femme prophétesse qui partage son amour pour le fils de la cité supérieure, Freder.
Prise à son propre jeu, la jeune Maria est finalement utilisée par les Intellectuels qui la capturent et réalisent un doppelgänger en métal de la jeune femme, Marie babylonienne et pécheresse afin d’avorter toute révolte et semer la zizanie.
Le jeune Freder, épris d’amour et d’humanité va tout tenter pour sauver Maria et les ouvriers afin de retrouver son humanité.
Matalon
Martin Matalon présente ici la dernière version de 2021, il aura passé 25 ans à perfectionner cet opus, débuté en 1995 sous la commande de l’IRCAM. Le résultat est un organisme parfait entre l’image claire-obscure du film et une composition musicale contemporaine purement orchestrale mais aussi électronique. À l’image de Metropolis, qui présente le choc des cultures élitiste et populaires, Matalon opte pour des instruments d’orchestre traditionnels, mais aussi pour des sonorités issues du jazz, salsa et de la musique expérimentale… La nouvelle partition explore une expressivité particulière qui résonne particulièrement avec nos temps modernes certainement moins symphoniques et plus innovants.
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Orchestre et mise en musique
Si Metropolis présente le fourmillement de la masse prolétaire et la fièvre des rouages, la musique présentée par l’orchestre au devant de l’écran de projection ajoute à cette quantité. Organique et pulsative, la musique prend forme avec les gestes, coudes et archers respirants, approchant l’image mouvante de cette frénésie musicale. Guitares électriques (avec boite de distorsion), guitare-basse (avec boite à effet), accordéons, saxophone, tambours secs, harpes…. les instruments sont plus que variés. La musique acoustique générée sur ordinateur vient ici ajouter une sensation de modernité supérieure sous la direction maîtresse d’Ilan Volkov qui fait dos aux ingénieurs sons situés au milieu de la corbeille du public.

Partition à deux visages, l’orchestration de Matalon prend ainsi le partie de Luis Buñuel qui, lors de sa découverte du film de Fritz Lang déclarait qu’il y avait « deux Métropolis » : d’une part une intrigue sociale, qui obéit à la logique de la symphonie romantique, contrastée et narrative, et d’autre part une face cachée de l’image elle-même, plus poétique, qui prend sa place au sein de ce conte dystopique. Cette image, selon Buñuel vient « combler toutes les expectatives du spectateur »… On imagine alors toute la difficulté de produire une partition qui ne vienne pas dominer cette imagerie mais la soutenir et la compléter.
Derrière le conte, la poésie des images
C’est au « second film », à l’aspect visuel de l’oeuvre, que s’est attaché le compositeur. Suite à une découpe de 20 scènes principales, il a tenté de rendre pour chaque scène un rythme et un langage particulier, détaché de l’expressivité des acteurs qui poussent leur geste de film muet, pour se concentrer sur la sensation enfouie que procure l’image. Cette étude de l’oeuvre a forcé ainsi l’équilibre des relations entre tensions en distention, légèreté et densité, complémentarité et divergence.
L’orchestre se positionne ainsi en rapport avec une image mais aussi un écran qui vient surplomber l’orchestre, véritable instrument-maître de l’ensemble. L’image semble obéir à la baguette, le son s’y appose alors.
——-> la fiche technique de l’orchestre ici
Le futur d’hier est-il notre présent ?
De cette organisme métallique et bruitant, la partition de Matalon réussit le tour de force de ne pas seulement venir accompagner l’image de Fritz Lang : elle la nourrit. Les dialogues muets des personnages se trouvent ici complétés par une musique qui ne fait pas le jeu du doublage musical mais bien son complément. Brutaliste et bruitaliste, il semblerait que la musique de Matalon se construise à la façon d’une architecture robuste au centre d’une métropole aux sons ambiants. Véritable orchestre de la ville, l’onde pulsative des machines et rouages, voitures, ascenseurs, Klaxons et percutions métalliques viennent alors s’accorder avec des pulsations corporelles plus intime.
Metropolis est un thriller, une histoire d’horreur au sein du béton et des machines. Le public y perçoit les sons bien connus de sa propre ville mais peut aussi entendre les battements de son propre coeur, l’angoisse qui monte, pulsative et dramatique. Musique monumentalement externe et principalement interne, il semble difficile de ne pas se laisser prendre au jeu de la partition, plus humaine encore que le propos du film de Fritz Lang. L’histoire semble ne pas avoir perdu de sa splendeur, la musique s’y appose naturellement et vient presque insidieusement renouer avec la modernité du propos de Fritz Lang.
Toujours de béton, de bruits et d’injustice, le monde de Fritz Lang résonne avec notre propre modernité, prouvant le génie de son maitre avec un conte populaire anticipatoire très juste, trop juste peut-être. Martin Matalon aura réussit à sublimer le tragique de ce monde clair-obscur emprunt d’une mystique particulière soutenu par le philharmonique de Bruxelles entièrement endurant et précis.