DISQUE – Ils sont amis à la ville, ils le sont encore plus sur scène ! Clara Schumann et Johannes Brahms ? Non, enfin si, eux aussi. Mais surtout Anne-Sophie Mutter et Pablo Fernandez, dont la dernière collaboration célèbre la romance amicale entre deux grands noms du romantisme allemand. Un vrai disque de pure musique.
“Puis-je mettre le nom de votre épouse au début de ma deuxième œuvre ?” Quand on sait ce qu’une dédicace représente pour un artiste romantique, on devine le poids d’une telle demande. C’est pourtant en ces mots que Johannes Brahms s’adresse à Schumann, à propos de Clara Schumann, la troisième partie du triangle amical et amoureux qui se dessine, dans les dernières années de la vie de Robert. Clara Wieck Schumann, l’épouse adorée. Celle dont l’amour fût l’objet d’une attente insoutenable et d’un bonheur que même la musique ne suffit pas à décrire. Dix longues années d’une relation vécue dans l’ombre, et quelques autres dans la joie du mariage. L’amour au grand jour.
Amis pour la vie, et au-delà…
Ne nous attardons pas plus longtemps sur ce que la demande de Brahms suggère d’une relation entre lui et Clara, qui soit allée au-delà de l’amitié entre deux pianistes au talent immense, dont la musique semble dialoguer en permanence. Car c’est bien à cette relation, musicale et amicale exclusivement, que l’enregistrement par Anne-Sophie Mutter (violon) et son camarade Pablo Fernandez (violoncelle) du double concerto en La mineur de Brahms et du trio en Sol mineur de Clara Schumann rend hommage. Un disque qui raconte la belle histoire d’un dialogue que la postérité a gravé dans le marbre de la partition, et qui nous parvient aujourd’hui avec ces deux œuvres, ces deux personnalités côte à côte sur un même disque.

Pure musique
Mais au-delà de l’intérêt historique, au-delà de l’histoire qui se raconte, au-delà du magnifique coup promotionnel comme on en croise beaucoup aujourd’hui dans les rayonnages des disquaires, cet enregistrement est avant tout un superbe moment de musique. Défendre un chef d’oeuvre (car c’est bien ce qu’est le double concerto de Brahms) peut paraître évident comme ça, mais il faut de grands musiciens pour en faire autre chose que la simple exécution d’une partition. Une version d’un formidable lyrisme, dans les passages enflammés comme dans l’andante foisonnant d’idées nouvelles, portée par un Czech Philharmonic poussé dans ses retranchements par Manfred Honeck.
La justesse totale des deux solistes de ce concerto se retrouve dessinée avec plus de ferveur encore dans la pièce mise en miroir de ce disque : le trio en Sol mineur de Clara Schumann. Une pièce découpée en quatre mouvements, à la manière d’une symphonie classique, qui chacun renferme un sentiment nouveau. Du romantisme pur, déchirant, émouvant, mais quelque part, dans les fins de phrases soutenues discrètement, et même dans le grand emballement final de l’allegretto, il y a quelque chose du secret qui tarde à se confier. Des émotions dites avec moins de grandiloquence que dans l’œuvre de son âme sœur, Robert. Que se passait-il dans l’esprit de Clara au moment de coucher sur le papier cette musique ? Qu’éclaire l’enregistrement si convaincant et convaincu de cette œuvre ? Le mystère reste entier. Une chose est sûre : Clara Schumann est une artiste à défendre, à explorer, à connaître et à reconnaître.