DISQUE – Rare en concert, mais pas moins brillante violoniste, Elsa Grether s’est associée au pianiste américain David Lively pour un enregistrement des œuvres complètes de Maurice Ravel pour violon et piano, paru le 9 septembre chez Aparte. Une musique pour les âmes discrètes…
La pochette du disque nous apprend que, dans la liste des mécènes, figure l’excellent Centre culturel Flagey de Bruxelles et la société des amis de Maurice Ravel. Entre les deux : la carrosserie Vatat, à Reims ! Cocasse… Peut-être est-ce pour annoncer que ce disque en a sous le capot ?
Concerto en mode miroir
En tout cas dans l’affichage des pièces, oui ! On nous promet d’entrée un arrangement du mouvement lent du Concerto pour piano en Sol. Et un sourcil se lève… Un orchestre entier dans le violon ? Et bien non ! Car ici les rôles s’inversent : le hérault de l’orchestre devient soliste, et le piano passe à “l’accompagnement”, un mot à mesurer quand on parle de la musique de Ravel. Et ça marche ! Le mystère de cette mélodie irrésolue et perpétuelle apparaît clairement, dans la lumière. C’est peut-être là que l’association des timbres fonctionne le mieux…
Le paradoxe Ravel
Car ensuite vient la plus complexe sonate pour violon et piano. Composée laborieusement par Ravel, qui voulait pourtant rendre hommage à une amie musicienne, ces trois courts mouvements découpés en Allegretto – Blues – Perpetuum mobile ont mis près de cinq ans à sortir de l’esprit de celui qui a composé son Boléro en un peu moins de deux mois… Est-ce cette partition qui, en 1928, valut à son auteur de qualifier d’”essentiellement incompatible” l’association de ces deux instruments, qui lui avait donné tant de fil à retordre ? Mystère…
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Mais, comme chez tout grand artiste, en Ravel existe un paradoxe. Il avait beau ne pas aimer composer pour violon et piano, une des pièces les plus inspirées du disque fut écrite en 1922, au début du travail sur la Sonate. La Berceuse sur le nom de Gabriel Fauré est un élixir de pur Ravel. On y retrouve la profonde humilité qui traverse son œuvre, les couleurs, les nuances, la magie de l’harmonie. Le tout dans un peu moins de 3 minutes de musique, qui comptent pour une éternité.
Elsa Grether et David Lively : un duo qui marche
La relation privilégiée qui unit le pianiste David Lively à Elsa Grether connaît, avec ce programme Ravel, une deuxième aventure, après un très réussi disque Prokofiev, salué par la critique en 2019. Monter un tel programme suppose, plus que tout autre, une union parfaite, une écoute harmonique fine entre les deux parties. On sait les violonistes en correction permanente de leur justesse, on imagine ici le travail d’oreille énorme réalisé pour rendre compte des mille couleurs de la musique de Ravel.
Chaque accord est délicatement soigné, et l’on devine derrière certaines des pièces, comme l’arrangement du Kaddish, des heures passées à jouer ensemble, lentement, pour installer, de croche en croche, le kaléidoscope des plans sonores. C’est là la force du duo Lively – Grether, et peut-être ce qui rend une Sonate, moins riche en accords complexes, un peu retrait par rapport au reste du disque, très réussi par ailleurs. La qualité de l’enregistrement, qui semble parfois tourner à 360° quand on l’écoute au casque, est une arme supplémentaire, et une excellente raison d’écouter ce disque, avant de le découvrir en concert.
C’est pour qui ?
- Pour ceux qui aiment chez Ravel le coloriste, et qui découvriront mille teintes dans les 92 cordes de ce duo
- Pour les amoureux du violon délicat
Pourquoi on aime ?
- Parce que la musique de chambre de Ravel, moins connue, mérite d’être défendue
- Pour l’audace de cette inversion des rôles dans le Concerto en Sol