FESTIVAL – La Folle Journée de Nantes s’est achevée, dimanche 5 février dernier. Nous y étions, pour rendre compte de cet événement hors-norme dans le monde classique, à faire au moins une fois dans sa vie de mélomane. Reportage en immersion (et en citations !) dans la foule de la Cité des Congrès.
Qu’en un lieu, en un jour, un seul acte accompli, tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Les croyants ont leur élection du pape sur la place St Pierre de Rome, les geeks ont leurs conventions, et les cinéphiles ont leur festival de Cannes.
Les mélomanes, eux, ont la Folle Journée de Nantes.
Il faut se souvenir toute sa vie de sa première entrée dans l’immense nef de la Cité des Congrès de Nantes. À quelques encablures du château des Ducs de Bretagne, l’imposante silhouette de ce temple éphémère dédié à la musique a de quoi impressionner. On sait ce que c’est, bien sûr. On a lu la brochure dans le train, on connaît les têtes d’affiche. On nous a raconté. Mais on est loin de se rendre compte de ce que c’est, tant qu’on ne l’a pas vécu.
Dans notre monde, lorsque l’on est dévoreur de musique, fou de concerts, on sait qu’on ne partage sa passion qu’avec un nombre restreint, et on passe le plus clair de sa vie avec un léger sentiment de solitude. Surtout quand on a la petite trentaine…
Mais à Nantes, en passant les porte vitrées de la Cité des Congrès, en voyant la foule massée autour du kiosque Pleyel, on est immédiatement gagné par le sentiment d’avoir trouvé là des semblables. Ce qui nous agace dans les centres commerciaux et les plages du 15 août, d’un coup nous enchante. Et on a plaisir à entendre ces petites phrases glanées de ci de là, sur les marches d’un escalator ou sur un stand de dédicace. Des brèves de concert, qui racontent, mieux qu’un long discours, l’esprit de la Folle Journée.
Dans le hall : « Chers mélomanes, bonsoir »
Lorsque ces mots résonnent dans les hauts-parleurs, la foule flattée tend l’oreille pour écouter l’annonce. Une dédicace surprise ? La remise en vente de billets pour les Modigliani ? Comme les jours de départs en vacances dans le hall d’une gare, il vaut mieux être attentif pour ne pas rater sa prochaine destination.
Sortie de concert : « On a quoi après ? »
En sortant du récital de Nour Ayadi à 13h, on sait qu’on doit se rendre quelque part pour un autre voyage, mais on ne sait plus trop. Pour cause, on a réservé 5 concerts en un après-midi. À 10€ en moyenne en tarif réduit, ça valait le coup…
Devant l’Escalator : « Mince, c’est pas là… »
Et pour ne pas rater le prochain, il vaut mieux savoir s’orienter, car il y en a à tous les étages ! Sans compter les salles de concert, la Cité des Congrès couvre 6000 m2. Un petit terrain de foot…
En lisant la brochure : « Ah oui, ça enchaîne en fait ! »
Oui, ça enchaîne. En cinq jours, ce ne sont pas moins de 267 concerts payants et 37 concerts gratuits. Dans les huit salles de concert de la Folle Journée, on joue en continu, de 9h à 23h. Et parfois même, à 7h30… Pour faire rentrer tout ce beau monde, les programmes sont prévus pour durer moins d’une heure.
Au bar : « Deux Saumurs pétillants s’il vous plaît »
Parce qu’on a parfois besoin d’une petite pause…
Aux toilettes : « Vous aussi vous étiez à Thibaut Cauvin ? »
En parlant de pause, les toilettes sont un haut lieu de rencontre. Chez les hommes, on entend un pot-pourri de mélodies restées en tête après le concert, joyeusement sifflotées, comme un signe de ralliement.
Dans la queue de la salle 250 : « Attends, mais on la connaît elle… Mais si ! C’est la violoniste là... »
À la Folle Journée, on croise des musiciens qui profitent de ce rassemblement pour aller écouter, badge « artiste » en main, leurs vieux copains de conservatoire. Incognito. Ou presque…
Au guichet : « Deux places pour le 161 ! »
Comme au Bingo, les concerts sont numérotés, et affichés sur un grand écran devant la billetterie. Parce que « le Concerto n°1 de Chopin par Jonathan Fournel avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Alexander Markovic », ça fait un peu long quand on est pressé d’aller l’écouter…
Sur une banquette : « Allez, ça nous laisse une demie-heure pour manger ! »
La Folle Journée, c’est aussi une logistique digne de l’ancienne usine LU, à quelques pas de là. Parce qu’il faut nourrir tout ce beau monde ! À titre d’exemple : le traiteur en charge du catering des artistes sert 10 000 repas sur cinq jours…
Rang X, place 26 : « On est bien installés hein ? »
Il faut le dire : quand on enchaîne autant de concerts dans une même journée, on apprécie le confort des fauteuils de la salle 800.
Foule Sentimentale
La Folle Journée, c’est tout ça. C’est aussi le sous-titre du Mariage de Figaro de Beaumarchais, la pièce qui a inspiré à Mozart un de ses chefs d’oeuvre les plus connus. Comme à l’Opéra, il s’y passe toujours quelque chose, et de la foule anonyme sortent des personnages qui racontent tous une histoire. Combien d’amis sortis ensemble du concert pour « débriefer » autour d’un verre, avec force arguments ? Combien d’éternels solitaires trouvant dans ces quelques jours enchantés le bonheur d’une compagnie passagère ? Combien de couples surpris main dans la main, voyant sur la scène un miroir vibrant où se reflète tout ce qui les unit ?
120 000, selon les organisateurs. Autant de fous que ces cinq jours de musique ont attiré dans un pèlerinage sans culte, autour de la pierre exaltante de leur passion commune. Tous rentreront chez eux l’étagère remplie de souvenirs indescriptibles, qu’ils auront bien du mal à raconter lundi, devant la machine à café.
Longue vie à la Folle Journée.
Compte rendu bien dans l’esprit de ces journées
Voilà qui est fort bien dit!! Car vraiment c’est un moment inoubliable , à consommer sans modération…