COMPTE-RENDU – L’historien Franck Ferrand et le pianiste Nicolas Stavy se sont faits les chantres, émus et émouvants, du génie de Frédéric Chopin, le temps d’une soirée musicale salle Gaveau.
Love is in the air
Un récital Chopin un 14 février salle Gaveau, organisé par Radio Classique ? Le programme idéal pour une Saint Valentin, prompt à vous faire chanter Love is in the air en vous rendant au concert avec la personne aimée. Une fois sur place, l’atmosphère est au diapason, détendue et pétillante. Décidément, il y a de l’amour dans l’air. Et l’arrivée sur scène du duo d’un soir, l’historien Franck Ferrand et le pianiste Nicolas Stavy, laisse présager qu’il en sera ainsi toute la soirée.

L’amour est un oiseau rebelle…
Aussitôt, Franck Ferrand installe sa tonalité, faite d’aisance sur scène et de maîtrise virtuose et élégante du verbe, sans support écrit, le tout saupoudré d’esprit cabotin. Pour lui donner la réplique, le pianiste Nicolas Stavy, tout sourire, interprète, avec simplicité, le beau et doux Nocturne Op.9 n°1. On peut penser alors que la soirée va être hagiographique et de bon aloi. Mais peu à peu, les lignes de fond se déplacent légèrement. Les ressorts se tendent imperceptiblement et le discours, tant oral que musical, s’oriente davantage vers la chronique d’une mort annoncée.
Chronique d’une mort annoncée
La mort annoncée, à l’âge de 39 ans, d’un jeune homme touché par la grâce mais de santé fragile, « une fleur coupée » selon Franck Ferrand. Fuyant la Pologne après le décès de sa sœur, empêché d’y retourner et d’y retrouver son ami de toujours, Titus, au moment de la rébellion des aristocrates polonais face au tsar Nicolas II, il rallie Paris, devenant une des figures majeures de l’élite artistique, aux côtés de Franz Liszt, Eugène Delacroix ou encore George Sand.
Ses pièces pour piano deviennent alors son journal de bord, dans lequel il déverse son amour empêché pour sa terre natale et ses tourments d’être fragile et condamné par la tuberculose. Sa technique d’écriture révolutionne la pratique du piano, le faisant passer d’un rôle d’accompagnateur à celui de roi des instruments, capable de tout dire à lui tout seul.
Ô temps ! suspends ton vol
Si on connaît le pouvoir de la musique de Chopin à exprimer l’ineffable, ce que l’on ne peut dire en mots, là où se logent les émotions les plus intimes et profondes, encore faut-il un climat propice et les bonnes personnes pour le transmettre. Ce fut le cas à Gaveau, le 14 février dernier. Un peu agitée au début, l’assistance s’est vite calmée, entrant même, grâce au discours musical juste et efficace de Nicolas Stavy, dans une qualité d’écoute extrêmement appréciable. Le duo Ferrand/Stavy a très bien fonctionné, l’un illustrant au piano les propos de l’autre, et l’autre rappelant sans cesse, mais sans lourdeurs, qu’il n’était là que pour servir sur un plateau l’interprète, seul capable de restituer au plus près les intentions du compositeur.
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La soirée a alors progressé vers un climax émotionnel rare, pendant lequel le temps s’est dilué, quand Nicolas Stavy a interprété, avec une infinie délicatesse mais sans sensiblerie, la mazurka Op.68 n°4. Écrite depuis son lit de mort par un Chopin de seulement 39 ans, extrêmement faible, on ne sait quelles forces il parvint à mobiliser pour rédiger cette ultime pièce de musique.
Voilà comment, grâce au truchement d’un historien et d’un pianiste, tous les deux talentueux et modestes serviteurs d’un propos artistique, une soirée de la Saint Valentin s’est transformée en un instant de vérité face à la mort, avec gravité, goût de la vie et sans morbidité.
Magnifique et très juste compte rendu de cette soirée inoubliable.
Soirée de très belle qualité grâce aux talents conjugués de Nicolas Stavy et Franck Ferrand.