CONCERT – C’est avec le Münchner Philharmoniker que Lorenzo Viotti s’est lancé dans une série de 5 concerts du vendredi 24 février au mardi 1er mars pour interpréter la symphonie n°6 de Gustav Mahler. Après un triathlon au siège du Philharmonique de Munich, l’équipe est passé à la Philharmonie de Paris pour une victoire tragique.
L’entrée du remplaçant remarquable
Alors que Valery Gergiev était initialement prévu pour diriger la symphonie tragique de Mahler, son absence de prise de position contre la récente guerre lui a valu son remerciement de l’orchestre. C’est une personnalité plus médiatique – grand Instagrameur avec 109 K d’abonnés et une fan base bruyante aux Pays-Bas – qui a pris le relai de la direction. Hasard du calendrier, la tournée a commencé à la date anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Soutien ou gratitude pour la place, Lorenzo Viotti a publié le même jour un hommage aux héros d’Ukraine.
Quoi qu’il en soit, à Paris, lundi, le chef a fait une entrée mémorable. Dans sa queue-de-pie très ajustée, le chef d’orchestre aime comme Mahler flouter les frontières. Pendant que le compositeur écrit ses grandes symphonies en réunissant plusieurs genres et styles, le chef model – pour Bulgari notamment – souhaite s’adresser à un public plus diversifié. Avec un micro, il a introduit de manière très pédagogique l’œuvre. Tant le contexte, les traits principaux des mouvements, que le rapprochement avec la quête de Faust sont énumérés. Il est déjà sur scène depuis quelques minutes, touche à peine sa baguette, que l’on comprend sa capacité à fédérer. Il est déjà à nous emmener avec lui dans ce périple symphonique. Il nous a préparé, disposé à entendre ces surprenants rythmes. Merci.
Un bon capitaine d’équipe
La musique démarre et tout de suite Viotti domine l’orchestre. Il conduit son équipe à la bataille avec de -très- amples gestes. Ancien percussionniste, il se saisit superbement de la puissance de l’œuvre et de cette forme d’orchestre gigantesque. La partition met à l’honneur des cloches de vache donnant une tonalité pastorale à vigoureuse symphonie. On retrouve ainsi l’essence de l’œuvre de Mahler : la nature. La fragilité de l’environnement et du vivant peut être aussi ressentie à travers cette heure et demie de lutte symphonique.
Aux accents de marche militaire, la force des cordes, des bois et des cuivres alternent avec des accalmies, comme une tentative d’apprivoisement ou de contournement. Des instant doux et vaporeux permettent au xylophone ou au célesta de relever le moment avec du pétillant. Dans ce thème plus tendre empruntant à la volupté et légèreté de la valse, notre chef apparaît en décalage. Ses grandes lancées de bras semblent démesurées, comme s’il cherchait à s’envoler. Au spectacle sonore s’ajoute cette danse sur l’estrade qui atteint son paroxysme lorsqu’il lance sa main vers le fond de l’orchestre à la manière d’un chat. Effectivement, Lorenzo Viotti va bien chercher chaque instrument, et chacune de leur saveur est perceptible. Il nous transmet sa joie d’avancer dans la composition, dans ce chemin tortueux, étape par étape.
Lutte en haut lieu
On oscille entre tumultes, frappe, respiration, arrêt presque, grondement, tranquillité, douceur et gravité. Les bois précis nous appellent, les violons nous entraînent et les cloches avec les cuivres nous enveloppent tourbillonnant autour de nous pour le 3è mouvement. Le Finale renforce la tourmente et les clivages s’entrechoquent violemment. L’écriture est surprenante, il y a du suspense, on ne sait qui va venir ou de quel côté. Le concert devient sportif, les battements de cœur accélèrent en parallèle de la course entreprise par les cordes, les cors conquérants appuient cette lutte infernale. On s’essouffle presque, le célesta redonne un peu de magie et de douceur, la respiration peut reprendre mais l’incision des violons redevient poignante.
Se joignent la multitude de percussions avec les trombones qui nouent la gorge en créant un climat d’appréhension. Le désespoir est enfin imposant avec le coup de marteau spécialement conçu pour cet éclat. Le combat n’est pas fini, la harpe habituée aux sonorités chatoyantes vient grâce à Mahler nous démontrer sa participation au drame, elles assombrissent le paysage et se font menaçantes. Les cloches redonnent un peu de vie et de souffle, les bois rejoignent dans la légèreté mais rapidement les tensions se concentrent à nouveau. Tout l’orchestre est mis à contribution pour pousser jusqu’au bord de la falaise. On sent le dilemme inévitable, l’absence de choix favorable et de porte de sortie. La lutte est toujours présente et Viotti ne lâche rien, on s’attend plusieurs fois à la fin et l’angoisse paraît interminable. Soudain silence. L’orchestre et son chef se sont figés en plein mouvement pendant une minute ; et les applaudissements résonnent pour féliciter cet exploit.
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Mahler écrivait dans une lettre à Bruno Walter en 1906, l’année de la création de ce monument « Ce que l’on compose n’est rien d’autre que l’homme tout entier – sentant, pensant, respirant, souffrant ». Cette symphonie, nommée Tragique, malgré des petits décalages entre le chef et l’orchestre, a bien pris corps et peut illustrer cette pensée du compositeur. Toutefois, le philharmonique de Munich excelle dans la restitution des symphonies monumentales de l’artiste. De tradition brucknérienne, Mahler avait lui-même dirigé l’orchestre pour la création de sa 4ème et 8ème symphonie. On peut finalement se demander à qui revient la victoire, l’orchestre, le capitaine ou les deux ?