COMPTE-RENDU – Au Musée de l’Armée des Invalides se produisaient ce lundi 6 mars 2023 le quatuor Danel et la pianiste Dana Ciocarlie, pour un programme – trop rare – comprenant Fanny Mendelssohn, Édith Canat de Chizy, Clara Schumann et Robert Schumann. Si l’immense qualité des interprètes ainsi que leur force d’exécution n’ont pas été remises en cause par cette soirée virtuose, certains éléments ont pu nous empêcher d’apprécier celle-ci dans son intégralité.
Le Quatuor à cordes en mi bémol majeur de Fanny Mendelssohn s’est révélé être une entrée en matière intéressante. Les retards, ce mode d’écriture consistant à enchaîner les voix entre elles tout en créant des dissonances momentanées, conféraient à l’ambiance de ce début de concert une saveur complexe et subtile, qui se gardait toujours de verser dans la facilité du romantisme languissant – et les élans furieux qui traversaient le morceau n’en devenaient que plus authentiques. Mention spéciale pour l’ « Allegretto », aux accents baroques inattendus et infiniment appréciables. Ce morceau donna l’occasion au quatuor Danel de briller lors de nombreux passages véloces écrits en homorythmie – les quatre instruments jouent en synchronisation. Nous aurions cependant à reprocher aux violons une gestuelle trop expressive sur scène, qui s’est manifestée au détriment de la netteté acoustique de certains passages.
Musique expérimentale : je t’aime, moi non plus
Le deuxième morceau, pour piano seul, nous a laissé tout à fait perplexe. Édith Canat de Chizy indique que son œuvre est nourrie de l’imaginaire maritime, dont Sailing serait vouée à donner des tableaux successifs. Même si le rapprochement entre mer et musique risque souvent de tomber dans le lieu commun, nous avions en tête le contre-exemple parfait qu’incarnait Debussy ; or, par sa recherche du timbre et des couleurs, plutôt que de l’équilibre harmonique, Sailing semblait s’inscrire dans une lignée esthétique similaire. Malheureusement, au travail de la recherche de l’accord pour lui-même, la compositrice a préféré l’usage récurrent de quelques procédés seulement, qui finissent par rendre l’écoute difficile : c’étaient, de manière cyclique, tantôt des cascades atonales, c’est-à-dire des notes resserrées jouées aléatoirement, tantôt des jeux de timbre trop connus, par exemple le toucher direct des cordes du piano. Interprété par Dana Ciocarlie, l’ensemble n’a pas su nous convaincre.
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Halte ! Nous revenons au XIXème siècle
De Clara Schumann, nous avons eu trois extraits, toujours pour piano seul. D’abord le « Ballet des revenants » (issu des Pièces caractéristiques, op. 5), puis la Romance en la mineur, et enfin le Scherzo, op. 10. Le premier morceau avait à notre oreille des échos de la Danse macabre, notamment en raison du jeu obstiné sur les ostinatos rythmiques. Le tout se présentait comme une suite de plusieurs séquences, presque comme un thème et variations se complexifiant progressivement. Un coup de cœur immédiat. Nous avons eu le sentiment, à l’écoute de la Romance, d’être ingénieusement mené de passage en passage par un souffle continu, quoique mélancolique. Vint pourtant, avec le dernier morceau, une proposition musicale plus opiniâtre, réclamant une dextérité implacable, à laquelle Dana Ciocarlie a voulu se dédier bravement. Un bel hommage à la compositrice et à son habitude du jeu par cœur.
Dans la famille Schumann, donnez-moi quand même Robert
Le concert s’achevait sur le Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur (op. 44). Nous avons pu, grâce au jeu de Yovan Markovitch apprécier une partie de violoncelle captivante. Difficile cependant de ne pas ressentir un trop grand contraste avec les pièces qui avaient précédé ce morceau : sur certains points communs, comme le retour cyclique des thèmes, l’écriture de Robert Schumann nous semblait en comparaison moins efficace. Rendons justice malgré tout à l’atmosphère du deuxième mouvement ainsi qu’au formidable défi technique offert par le « Scherzo », basé sur des allers-retours mélodiques extrêmement exigeants du point de vue de la synchronisation entre instruments.
Du reste, jetant un regard final sur cette soirée, nous avons regretté le choix des œuvres. Le concert s’inscrivant dans un cycle intitulé « Femmes compositrices, une plume pour seule arme », il nous a paru dommage de placer un morceau de Robert Schumann en ultime pièce. L’agencement interne du programme était quant à lui sujet à réserve : au-delà des allers-retours chronologiques, la très fine sophistication de la première et de la troisième œuvres nous a semblé entrer en dissonance avec l’intention musicale des deux autres, à notre sens trop turbulente et hétérogène.