SPECTACLE – La troupe des Frivolités Parisiennes réussit encore à enchanter le théâtre de l’Athénée Louis Jouvet, avec sa nouvelle production : Coups de Roulis de Messager. Une opérette détonante et au combien moderne, dans une mise en scène en forme de feuilleton télévisé.
Coups de roulis, l’histoire de trois coups de foudre à trois âges de l’amour
Coups de roulis raconte l’inspection d’un croiseur de guerre, Le Montesquieu, par le Haut-Commissaire Puy Pradal, accompagné de sa jeune fille de 20 ans, Béatrice, qui lui sert de secrétaire. On se doute bien que l’arrivée de cette blonde plantureuse avec une chevelure de lionne sur un navire de guerre va chambouler le cœur de ses marins, plus exactement de deux marins, celui d’un jeune coureur de jupons (Kermao) qui embrasse si bien et de son commandant d’âge mûr (Gerville) au tempérament plus rassurant. Mais l’intrigue amoureuse ne s’arrête pas là : lors d’une escale au Caire, c’est au tour de son cher papa de s’enticher d’une comédienne égyptienne pulpeuse (Sola Myrrhi) prête à tout pour entrer à la Comédie-Française. Vous l’avez compris, ces Coups de Roulis c’est un peu trois coups de foudre survenant à trois âges différents. Cette pièce pose une question universelle : tombons-nous amoureux avec la même fougue à 20, 40 et 60 ans ? Et nous sortons de cette pièce totalement revigorés avec devant nous encore de belles années à aimer. Car oui et c’est l’une des belles leçons de la pièce : les seniors peuvent aimer et même avec beaucoup plus de passion que les jeunes, l’important étant d’avoir toujours 20 ans dans la tête.
Une œuvre détonante pour ses réflexions féministes
Créée en 1928, cette œuvre détonne par le nombre de réflexions féministes qu’elle soulève telles que le rapport hiérarchique homme / femme, ou le consentement. Par exemple Kermao culpabilise d’avoir volé un baiser à Béatrice qui s’était évanouie. Dans cette opérette, les femmes ne sont jamais victimes, mais toujours maîtresses de leurs destins. Ce sont des femmes libres, ambitieuses, malicieuses, leadeuses et qui ne se laissent pas faire dans un monde d’hommes, celui des marins. Et en regardant la distribution de Coups de roulis, nous constatons un bel hommage à la gente féminine, que ce soit les rôles principaux, jusqu’à la metteuse en scène Sol Espeche et même la cheffe d’orchestre Alexandra Cravero qui dirige tout ce petit monde de son coup de baguette maîtrisée.
Une mise en scène moderne surfant sur la vague des séries Télénovela
Sol Espeche, française d’origine argentine dépoussière Coups de roulis d’une mise en scène découpée en trois épisodes façon série Télénovela avec coupures publicitaires comprises. On se souviendra de ces pubs hilarantes de « Caire Fontaine » ou de cigares égyptiens. Tous les codes du Soap Opéra sont réunis pour notre plus grand bonheur et cela dès le lever du rideau. En effet, la pièce commence par un générique vidéo introduisant les principaux protagonistes avec poses exagérées, rires prononcées et mouvement de coiffure de Béatrice (clin d’œil au générique d’Alerte à Malibu). Puis avant chaque nouvel acte, une courte vidéo hilarante du style « Précédemment dans Coups de roulis … » résume l’épisode précédent mettant en lumière les punchlines et les moments forts pour ceux qui s’étaient endormis, bercés par la musique. Bref, vous l’avez compris, cette mise en scène qui oscille entre les Feux de l’amour et un vaudeville de Feydeau est d’une très grande modernité et regorge d’inventivité pour faire renaitre l’opérette lyrique française de ses cendres.
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Sans oublier la musique renversante et un livret de gags légers
Coups de roulis c’est aussi la dernière œuvre de son compositeur André Messager, qui à 75 ans, auréolé de gloire, débordant de créativité et d’enthousiasme, décide d’adapter en musique le roman de Maurice Larrouy avec l’aide de son complice Albert Willemetz pour le livret. Ses dialogues sont drôlissimes, toujours léchés, jamais vulgaires, donnant naissance à des gags légers. A sa création en 1928, un certain Raimu était même dans la distribution et endossait le rôle du commissaire. Bref, c’était une opérette en vogue déjà à son époque.
Des chanteurs épatants avec une grande maîtrise d’interprétation
La réussite de cette opérette survitaminée incombe aussi à ses comédiens chanteurs épatants de la compagnie des Frivolités Parisiennes, qui avait déjà exhumé l’année dernière au Théâtre de l’Athénée : Là-haut, une vraie réussite avec ses grands numéros de Music-Hall. Le baryton Christophe Gay, un Kermao avec sa coupe banane à la Elvis, interprète magnifiquement « en amour, il n’est pas de grade, l’important c’est d’avoir vingt ans » (finale de l’épisode I). Philippe Brocard se glisse dans la peau du commandant aux tempes grisonnantes et se lamente des tourments de la quarantaine. Jean-Baptiste Dumora est poilant dans son rôle de commissaire psychorigide intransigeant avec l’équipage mais s’adonnant à la débauche avec les femmes. Irina De Baghy en diva égyptienne est hilarante avec ses moues et son entrée fracassante à l’épisode II avec sa cheville foulée. Mais la vraie révélation, c’est la soprano Clarisse Dalles, permanentée à la Pamela Anderson qui interprète une Béatrice très juste, avec sa voix au timbre satiné et sa diction parfaite. Et quelle actrice ! Elle surjoue tout en finesse avec ses mimiques et ses mouvements de chevelure à faire pouffer de rire le public.
Pour résumé, une opérette moderne, féministe et drôlissime
Ça s’esclaffe, ça chante, ça se dandine, le tout sur une musique légère, souriante, et surtout universelle qui comblera petits et grands, novices et amateurs, hommes et femmes. Un spectacle « good vibes » qui fait chavirer les cœurs et transmet une joie communicative pour bien commencer la soirée. Bref, courez-y pour un shoot de vitalité et de légèreté qui fait grandement du bien. Ce répertoire lyrique français est malheureusement trop peu souvent joué.