COMPTE-RENDU : L’Orchestre National du Capitole de Toulouse présente deux œuvres symphoniques de César Franck et la création de El Biir, concerto pour guitare, composé par Benjamin Attahir. L’ensemble des interprètes (le chef Pierre Bleuse, l’orchestre et le guitariste Thibaut Garcia) ainsi que le compositeur de cette création étant tous d’origine toulousaine, nous ferons honneur à nos spécialités régionales.
Le Chasseur Maudit de César Franck : un bon cassoulet chaurien
C’est généreux, dense et réconfortant ! La recette de César Franck n’a pas lésiné sur l’orchestration, et l’orchestre du Capitole ainsi que son chef du jour Pierre Bleuse l’ont très bien compris. On commence tout doucement avec les premiers appels de cors puis rapidement la chasse s’emballe. Les cuivres et les percussions s’intensifient pour donner à l’auditeur une explosion de saveurs aussi riche que puissante et surtout bien liées dans une matrice homogène qui fait la cohérence de notre plat : le bouillon savamment mijoté par les cordes frottées. Elles savent à la fois donner un gout bien salé et assaisonné au plat tout en faisant la part belle aux ingrédients stars. Mais le cassoulet c’est aussi des morceaux de choix : une belle pièce d’oie ou de perdrix par exemple. Faisant une pause sur la base de haricots, le gourmet s’attarde ainsi sur les violons aériens qui précèdent la fatale malédiction ou encore sur les magnifiques bois que le chef met si bien en valeur. L’orchestre marque ainsi les différents points de repères du livret inspiré du poème original de Bürger. Reprenant un peu de chaque parties, le gourmet finira parfaitement rassasié avec le final reprenant les différents motifs de la partition.
El Biir de Benjamin Attahir : un vin de Cahors
C’est âpre, tanique et agressif ! Dégustation à l’aveugle d’une nouvelle cuvée totalement inédite, le vigneron nous explique s’être inspiré de la guerre en Syrie et du poème El Biir (le puits) de Lancelot Hamelin. Il ne faut pas s’attendre à un concerto à la Mozart où les passages orchestraux alternent comme un écrin avec de virtuoses parties solos représentant le bijou. Ici la guitare joue quasiment tout le temps sur l’orchestre. Aussi la guitare n’est pas écrite en opposition à l’orchestre mais plus comme un soliste particulièrement mis en valeur de celui-ci. Elle est donc souvent effacée derrière les tanins astringents de l’orchestre et cela est en plus renforcé par l’élégante modestie de Thibaut Garcia. D’autres pupitres bénéficient d’ailleurs de parties solos en particulier le violon et la harpe. Les motifs extrêmement courts et déstructurés, de la guitare comme de l’orchestre, ne permettent pas véritablement de saisir les arômes du vin. Ceux qui s’attendent, au vu du thème, à goutter des notes d’épices seront bien déçus. A part l’introduction de quelques éléments de musique du monde dite « world music », tels que l’usage du djembé, on ne trouve rien de véritablement orientalisant dans la partition. Une impression générale de chaos, marquée par les dissonances, les cuivres stridents et les cassures rythmiques se détache bien.
Elle symbolise sûrement les affres de la guerre ou encore les reliquats de folies qui imprègnent encore les combles de l’asile psychiatrique détruit mentionné dans le poème. Des troubles obsessionnels compulsifs sont ainsi audibles par des motifs de percussions monotones et réguliers tombant tels des « plocs » d’un évier qui goutte. Quelques élans cohérents et plus traditionnels de cordes frottées tentent parfois de reprendre le dessus mais ceux-ci sont vites balayés. La superposition anarchique des dissonances en fait donc un vin trop jeune et pas très agréable à boire qui ne fait que ressortir l’âpreté du Malbec. Aussi, si les premières gorgées viennent efficacement contrebalancer la richesse du poème symphonique de Franck, il devient très vite écœurant et ce malgré un service carafé et à température dans d’élégants verres en cristal par des sommeliers impeccables : Pierre Bleuse, Thibaut Garcia et l’Orchestre du Capitole. Cédant à la mode et inspiré par une noble cause, certains vanteront sûrement sa culture en biodynamie ou encore ses cépages rares mais on doute que l’amateur moyen en achète une caisse pour le déguster dans son salon.
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Thibaut Garcia en guise de rappel interprète brillamment un air léger et subtil qui permettra telle une eau minérale limpide de se rincer la bouche avant la suite.
La symphonie en ré mineur de César Franck : la violette cristallisée
C’est suave, sombre et mélancolique. L’orchestre dévoile tout d’abord de magnifiques graves sombres. Pierre Bleuse pose l’ambiance avec un sens des atmosphères. Les tonalités du ré mineur s’expriment, tel un paysage boisé sous un ciel grisâtre au crépuscule de l’hiver. La progression s’installe même si certains pupitres (cordes frottées en particulier) auraient pu gagner par moments à se détacher plus clairement de l’orchestre. Le tonnerre éclate. En fin de mouvement, quelques violettes dans un recoin viennent colorer le paysage. Toujours sombres avec leurs feuilles foncées et leurs fleurs dépassant tout juste de l’herbe, elles lui confèrent une redoutable poésie. Au deuxième mouvement le doux dialogue entre les cordes et les bois amène un temps plus printanier.
Notre violette révèle ses senteurs complexes, parfois un peu malmenée par des tempi trop fluctuants mais sublimée par contre, par un sens de l’évolution allant du murmure olfactif que l’on sent vaguement de loin jusqu’à la puissante et si particulière saveur de la violette que l’on croque. Le commencement du troisième mouvement est vif et dynamique comme il se doit. Les aromes acidulés du sucre ajouté sur la violette réveillent le spectateur. L’orchestre est entrainant avec une belle vivacité des cordes et des cuivres puissant. Pierre Bleuse a cependant tendance à une trop forte anticipation qui semble précipiter voire bâcler la fin de certains motifs. Les ostinatos évoquant l’amertume de la fleur alternent et s’accouplent avec ceux évoquant la douceur excitante du glaçage. L’extase finale vient clore avec éclat la partition, comme la dernière violette mangée du bocal que l’on vient de finir, laissant encore dans la tête de l’auditeur les dernières traces de son odeur subtile.
Les cuisiniers et sommeliers toulousains proposent donc une carte entièrement concoctée à partir d’ingrédients régionaux. Exécutées et dressées avec élégance, les assiettes se finissent sans faim. Les verres par contre ont moins de succès. Le breuvage quasi cacophonique qu’ils contiennent étant sûrement plus inspiré par la mode que par le style.