CONCERT – Michel Tabachnik dirigeait un répertoire aux accents espagnols avec le Wiener Symphoniker et Gabriela Montero, au Konzerthaus de Vienne. Un concert lisse et régulier, mais un peu en manque d’inspiration.
Lorsque la présentatrice Barbara Rett annonce, à l’ouverture du concert, « une bonne et une mauvaise nouvelle », on sait déjà à quoi s’en tenir. Le chef d’orchestre prévu pour diriger le Wiener Symphoniker, Pablo Heras-Casado, a dû annuler sa venue pour raisons de santé. La « bonne nouvelle » : le concert peut malgré tout avoir lieu grâce au remplacement au pied levé de Michel Tabachnik. Cela représente malgré tout un sacré défi : de Lontano de Ligeti à La mer de Debussy, en passant par la Rapsodie espagnole de Ravel et Les nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla, le programme ressemble à un vrai numéro d’équilibriste.
On est reconnaissants de la disponibilité, et on admire le courage de Michel Tabachnik, qui a assumé de prendre en charge intégralement le programme de son collègue. Malheureusement, sans travail d’interprétation préalable, l’ensemble devint un cadre de lecture contraignant pour la soliste et les musiciens, tous capables de beaucoup mieux.
Début en bonne foi
Le début, avec Lontano de Ligeti, qui commence dans les soupirs très doux des cordes et s’achève en riches nuances de tensions et de profondeur, promet une belle matinée. Chaque tension réussie apaise l’appréhension collective un peu plus. L’élégance structurée, mais pas trop stricte, montre l’instinct intellectuel et le raffinement exquis de la direction.
Du feu étouffé et des élans fugaces
L’élégance et la régularité impressionnent sans doute, mais au fur et à mesure, on se demande si les deux ne sont pas en train de rigidifier le tout. Les couleurs et les élans capricieux de la Rapsodie Espagnole de Ravel deviennent parfois des alternances pures entre des blocs de dynamiques, sporadiquement pimentés par les vents du registre haut. Chaque montée en intensité engendre l’espoir de jouir d’élans francs et sans contraintes… qui n’arrivent jamais. Chaque sommet se dissout vite et la constellation des sonorités regagne son ordre initial comme si de rien n’était, comme si la pièce et son intention étaient en cours de découverte.
Gabriela Montero à la rescousse ?
Le jeu de la pianiste Gabriela Montero, soliste des Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla, repose sur le contraste. Sur les textures aussi, que son calme, son élégance et sa précision permettent. Dommage que la richesse de son jeu soit contrainte à suivre le cadre établi. Elle ne trouve de véritable occasion de briller que pendant le bis, dont elle s’est fait une spécialité : une improvisation à partir d’éléments donnés par le public. Sur la mélodie de Papageno chantée par un spectateur, « Der Vogelfänger bin ich ja » (L’oiseleur, c’est moi), elle improvise dans un style qui va d’un Bach tardif à la première moitié du romantisme, et se termine en une succession d’accords fiers dans le style classico-romantique. Ce n’est pas pour rien qu’elle est une improvisatrice reconnue !

Peu inspirant, peu inspiré ?
La conclusion du concert, La mer, que Tabachnik dirige d’ailleurs par cœur, laisse plus d’impressions agréables que les deux pièces précédentes. La richesse des nuances et les contrastes qui déterminent le jeu impressionniste, entre le cri et le murmure, la force et la douceur sont bien dessinés, même si la clarté d’intention cède par moments à l’indécision. À la fin, on peut être reconnaissant d’un concert sans doute bien mené, peut-être aussi des découvertes qui ne s’imposent pas trop… Mais le sentiment doux-amer que la pianiste et l’orchestre auraient pu faire mieux n’est pas facile à dissiper.