CONCERT – Dans le cadre du “Rachmaninov 150” célébrant le 150e anniversaire du célèbre compositeur, Flagey a pu entendre performer nombre de pianistes virtuoses, dont Lukáš Vondráček, Daniil Trifonov ou Sergei Babayan. Et le 20 juin, Evgeny Kissin.
Au programme :
Partitions baroques, classiques et romantiques portées par la Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur (J-S. Bach), la Sonate pour piano n° 9 en ré majeur (W.A. Mozart), la Polonaise en fa dièse mineur (F. Chopin), avant une demie-heure de Préludes et six Études-Tableaux de Rachmaninov, donc mis à l’honneur.
Récital oblige, c’est sans partition que performe Evgeny Kissin pendant plus de deux heures de concert. Les partitions fantômes se lisent pourtant sur son visage, et nous sont transmises par son expressivité touchante, le mouvement de ses mains, dans chacune de ses inspirations, à travers tout son corps et via les réactions du public lui-même.
Une montée excitante
Après avoir apaisé le fourmillement du Studio 4 de Flagey en gratifiant la salle impatiente d’un sourire réservé, Kissin provoque une autre forme d’effervescence avec la grande liberté qui caractérise la Fantaisie chromatique de Bach.
Pas de partition, en effet, mais les mains s’animent, sautent et virevoltent sur un tempo rapide. Le pianiste se balance en arrière avant de se rapprocher du clavier du Steinway & Sons pour lui murmurer des sons que lui seul pourra entendre. Seule la rigueur de la fugue le ramène à une concentration apparente, peu de temps avant que ses, à nouveau légers, s’envolent avec énergie au rythme de la Sonate pour piano n° 9 en ré majeur de Mozart.
La gravité des hauteurs
Dès le second mouvement de la Sonate Mozartienne, les mains se meuvent au ralenti. Un air de gravité s’installe. Une ambiance mystérieuse et dramatique accentuée dès les premières mesures de la Polonaise en fa dièse mineur de Chopin.
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« Pour moi, cette Polonaise évoque clairement la tragédie du peuple polonais, victime de l’impérialisme russe à l’époque de Chopin. Je pense que les parallèles avec la situation actuelle sont très évidents », explique Kissin.
Les gestes se font pesants, les poignets se réhaussent et les phalanges semblent soudainement lestées. Un téléphone sonne, les spectateurs, dans un agacement synchronisé, portent leurs mains au visage. La lourde puissance du jeu de Kissin et les extrémités qui se tordent amorcent la tension des pièces à venir.
Ups and downs
C’est dans la seconde partie du concert, dédiée à Sergei Rachmaninov, que Evgeny Kissin atteint l’apogée de son expressivité. Véritables montagnes russes émotionnelles, les morceaux interprétés font évoluer la salle entre doux flottement et intensité profonde.
Mouvements élancés, soupirs audibles, grognements, chant de grognements spontanés, secousses qui accompagnent les accords massifs des préludes… Cette fois, c’est le corps de Kissin dans son ensemble qui s’emporte. Puis, les mains glissent avec douceur, les pauses sont planantes, les doigts des spectateurs et spectatrices anticipent silencieusement la partition.
“Orgasmique et déchirante” : C’est ainsi qu’une personne du public qualifie l’interprétation, lente et puissante, du fameux Prélude en do dièse mineur avec laquelle Kissin achève la soirée et qui lui vaudra une énième standing ovation.