Compte-rendu – Ze Met Orchestra et son directeur musical Yannick Nézet-Séguin, après 22 ans de recherche, ont enfin trouvé un vol pour Paris avec atterrissage à la Philharmonie, dans des œuvres reliées à Shakespeare de compositeurs aussi divers que Bernstein, Aucoin, Tchaïkovski et Verdi, pour lequel la soprano Angel Blue et le ténor Russell Thomas rejoignent l’équipage.
Roméo et Juliette, réussite d’un amour impossible
Répétez après moi : J’inspire, Shakespeare ! Car il est le fil rouge de ce concert, à commencer par Roméo et Juliette (qui avant de faire les beaux jours de Leonardo di Caprio a inspiré de nombreux compositeurs dont Bernstein pour sa comédie musicale West Side Story). Les américains à Paris jouent la Suite de danses symphoniques de ce même ami américain, mais aussi les pages orchestrales de Roméo et Juliette (Ouverture-fantaisie) de Tchaïkovski, la musique comme ambassadrice de la paix entre les deux blocs.
Aucun négociateur pour que chacun réalise une partition flamboyante dans son langage propre, où mouvements vifs alternent avec des moments plus lyriques. La cohésion entre le chef et l’orchestre saute aux yeux et aux oreilles, la phalange répondant au quart de tour de baguette de Yannick Nézet-Séguin qui s’engage corps et âme dans la musique. Ses gestes amples et enveloppants dessinent le contours des mélodies tendres et sensuelles des chants d’amour (Somewhere chez Bernstein et le thème de l’amour chez Tchaïkovski). Sa baguette s’érige en épée pour évoquer les combats et insuffler l’intensité des rythmes et des nuances. L’auditoire est parcouru de frissons tant le son de l’orchestre rayonne dans l’acoustique de la Philharmonie. Dans une synchronisation parfaite, les cordes ronronnent tandis que les percussions sont à la fête dans les tempi endiablés des danses d’inspiration latino-américaine. Les bois s’élèvent en choral hiératique ou bien participent au festival de couleurs tandis que les cuivres imposent le drame tantôt en grondements sourds tantôt en explosions terrifiantes. Reconnaissant l’expertise et l’investissement des instrumentistes, le chef les remercie et les félicite dans des accolades chaleureuses avant de recevoir lui-même l’ovation du public : acclamé tel Othello de retour à Venise.
Otello, le drame sans drame
La deuxième partie du concert est consacrée à Verdi avec le dernier acte d’Otello, autre personnage mythique du théâtre de Shakespeare. Hors contexte et en version de concert le drame peine à s’exalter malgré les prestations remarquées d’Angel Blue (tout comme sa robe) et de Russell Thomas. Placée sous l’œil attentif du chef, la soprano incarne Desdemona de sa voix charnue au vibrato enveloppant. Qu’elle émette du bout des lèvres les « Salice » répétés dans la chanson du saule ou qu’elle projette un cri d’effroi sentant sa dernière heure arrivée, l’émotion demeure intacte et le phrasé mené dans une homogénéité qu’aucun effort apparent vient altérer. Le ténor prête sa voix solide et puissante au personnage d’Otello ravagé par la jalousie. Le remords et les souvenirs des baisers (« un baccio ») adoucissent son chant sans pour autant lui faire perdre l’intensité dramatique.
Bien que ne figurant pas dans le programme, la mezzo-soprano Deborah Nansteel, dans le rôle d’Emilia, soutient autant sa maîtresse que sa voix dans le grave. Le ténor Errin Brooks, le baryton Michael Chioldi, le baryton-basse Richard Bernstein et le basse Adam Lau font entendre leur voix dans une intervention courte mais cependant saisissante de puissance.
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Le roi Lear très contemporain
Yannick Nézet-Séguin informe le public que l’orchestre du Met évolue et s’oriente davantage vers le répertoire contemporain. La création, Heath – King Lear Sketches de Matthew Aucoin (donné ce soir en création française) fait partie de ce dispositif. La musique richement orchestrée est évocatrice et la mélodie aussi désolée que la lande dans laquelle déambule le Roi Lear. Les dissonances des piccolos dérangent les oreilles autant que l’esprit du roi et les cuivres sont autant de rires sarcastiques du fou moqueur.
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Après une ovation tonitruante du public, Yannick Nézet-Séguin déclare au micro son amour pour le Met orchestra en faisant de nouveau applaudir « un des plus grands orchestres du monde », son amour pour la Philharmonie de Paris, une de ses salles préférées, et son amour pour le public en offrant une petite « mignardise », Adoration de Florence Price, achevant la soirée avec un hug musical.
Car comme dit Shakespeare dans La Nuit des Rois : « If music be the food of love, play on! »