AccueilA la UneCosi à Aix : psychose amoureuse

Cosi à Aix : psychose amoureuse

FESTIVAL – Il a fait fort. Pour ce Cosi fan tutte version thérapie de couple, Dmitri Tcherniakov n’a pas fait pas dans la dentelle : livret disséqué, farce envoyée valser, drame moderne de la banalité du couple cruellement mis en lumière. Devant un Balthasar Neumann décidément mozartien, les chanteurs ont porté à bout de bras une production qui n’a pas fini de faire parler d’elle…

Voyeurs dévoyés

Vous vous rappelez de l’ÎIe de la Tentation ? Cette télé-réalité racoleuse inventée au tournant du siècle, pour mettre en tension ce qui se sent aujourd’hui plus fort encore : la fragilité des couples. Pas de l’amour, entendons-nous ; des couples. Le principe est simple : une quinzaine de jeunes tourtereaux sont envoyés sur une île paradisiaque pour tester la solidité du lien qui les unit en “vivant” ensemble pendant un mois. Sauront-ils résister à l’appel du désir ? Vont-ils céder au chant des sirènes ? Se découvriront-ils une passion nouvelle pour l’échangisme ? Tout peut se passer, et le spectateur, en fait, se fiche de l’issue, pourvu qu’il puisse mater…

Ça commençait si bien… ©Monika Rittershaus
Huis-clos amoureux

Et bien, dans cette nouvelle mise en scène de Cosi fan Tutte, œuvre dont le festival d’Aix-en-Provence fait ses choux gras depuis 1948, il y a quelque chose de l’Ile de la Tentation à l’Opéra. Quelque chose du Psychose d’Hitchock, aussi. À ceci près que, dans cette version, ils ne sont que quatre (deux fois deux), ils sont en huis-clos (le chœur est relégué à la fosse, façon musique d’ambiance), ça se passe dans une maison d’architecte archi-chic et surtout, les candidats ne sont pas jeunes. Guglielmo, Fiordiligi, Ferrando et Dorabella sont des quinquas en quête d’un second souffle, que promet de leur rendre un couple de sadiques (Alfonso et Despina) en les invitant à un week-end d’échangisme qui va s’avérer un poil hardcore…

Alfonso et Despina façon tortionnaires de film d’horreur ©Monika Rittershaus

Au début, c’est comme dans beaucoup de mises en scène dites “modernes” : on ne comprend rien. Le livret ne colle pas tellement à ce qui se passe sur scène, les chanteurs parlent de bateaux qui ne sont pas là et un ensemble de petits détails discordants manquent de nous sortir du grand canevas qui semble se dessiner devant nous. Mais au moins on rigole un peu. Dmitri Tcherniakov dit ne pas vouloir de la “bouffonnerie” de Cosi : il nous offre quand-même quelques gags savoureux (petite pensée pour la perruque de Despina…).

À lire également : Tcherniakov à Aix, Carmen par K.O
Sulfureux

Puis, l’entracte passé, la focale se précise, et on rentre dans le drame tapis sous la farce. Chahutée par le public au moment des saluts, il faut reconnaître une qualité incontestable à cette nouvelle vision de Cosi : elle est sacrément puissante. On décolle littéralement de son siège quand on voit Alfonso menacer les amants avec un fusil, quand on assiste à une troublante scène de masturbation, ou quand un Guglielmo littéralement hors de lui attrape Fiordiligi par le cou. Le public tremble, lui qui a rarement vu une telle violence sur la scène de l’Archevêché (on est fair-play, on raconte pas la fin, mais si on pouvait…). Ceux qui pensaient voir un Cosi rigolard et gentiment moral déchantent sérieusement, et ça se querelle un peu à la sortie du théâtre…

À balles réelles… ©Monika Rittershaus
La force de l’âge

Au-delà du sulfureux, il y en a qui mettent tout le monde d’accord : les chanteurs. Choisis spécifiquement parce que Dmitri Tcherniakov voulait depuis longtemps donner un Cosi fan tutte avec autre chose que des jeunes premiers, ils donnent en plein dans la vraisemblance, du haut de leur bouteille. Pensaient-ils avoir une chance de chanter encore Cosi, à cet âge de leur carrière qui les destinent plus aux vieux sages qu’aux ados ? Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont encore en pleine possession de leur moyens vocaux. Le moindre écart de souffle, la moindre dégradation du timbre que l’âge de ces grands baroudeurs laisse paraître n’a rien de dérangeant. On pardonne devant la maîtrise des intensités, la magnifique écoute dans les ensembles et le métier incroyable dont ils font tous preuve. Chacun chante son grand air avec une émotion supplémentaire. Comme si c’était la dernière fois.

Cette production va durer près de trois semaines, et sera rediffusée sur Arte. Il y a donc encore beaucoup d’occasions d’aller la voir, pour se faire son propre jugement, au-delà de ce que la critique pourra en dire. Soyons honnêtes : cette version de Cosi nous met nous, commentateurs de l’actualité musicale, dans l’embarras : incontestablement neuve, incroyablement gênante, impossible à classer, il y a fort à parier que dans le concert des avis médiatisés, personne n’en pense la même chose. Et c’est…tant mieux ?

Despina : tempête sous un crâne ©Monika Rittershaus
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