OPERA – Le Palazzetto Bru Zane Paris en coproduction avec le théâtre des Champs-Elysées et l’Opéra National Montpellier Occitanie remet au gout du jour Grisélidis de Massenet d’après une légende médiévale, temps béni des banquets. En version concert, l’oeuvre est assaisonnée par Jean-Marie Zeitouni à la tête du choeur et de l’Orchestre National Montpellier Occitanie et rejoint par une brochette de solistes de haut vol.
À Paris, Massenet se chante et se danse ! Fruit du hasard : Paris rend un hommage simultané à Jules Massenet, dans deux de ses plus grandes salles. Au théâtre des Champs-Élysées, Grisélidisest redécouvert dans sa version lyrique par le Palazetto Bru Zane, pendant que L’histoire de Manon est dansé sur la scène de Garnier par le ballet de l’Opéra de Paris. Encore plus curieux : de longues pages de Grisélidis sont utilisées pour la musique du ballet !
C’est dans les vieux pots…
Le livret de Grisélidis est une adaptation d’une pièce montée à la Comédie Française d’Armand Sylvestre et Eugène Morand (Le mystère de Grisélidis) et adaptée pour l’opéra par les auteurs eux-mêmes en un prologue et trois actes. Cependant la recette est plus ancienne et cette légende qui glorifie l’amour conjugal et la fidélité de l’épouse soumise à la tentation, fut déclinée par des personnalités aussi diverses que Boccace (Decameron), Chaucer (Canterbury tales) ou Perrault (Contes de ma mère l’Oye). Si dans le Decameron l’histoire revêt une certaine amertume (c’est le mari lui-même qui soumet Grisélidis à des épreuves effroyables comme celle de tuer ses propres enfants), dans l’œuvre de Massenet un ajout d’ingrédient pique le rire en la présence du diable farceur et de sa femme. Ainsi Massenet mêle t-il la comédie croustillante et le drame épais, dans une partition variée aux nombreuses saveurs aussi panachées que le pudding et les crêpes dentelle. Et cerise sur le gâteau, la fin est un miracle (Saint Agnès permet à Loys qui avait été enlevé par le diable de retrouver ses parents).
Top chef
Jean-Marie Zeitouni se présente tel un chef étoilé, connaisseur et friand de Massenet (il a déjà à son menu Werther et Chérubin à Montpellier, et Cendrillon à Nancy). Il porte une attention de chaque instant afin que la pâte orchestrale s’équilibre avec les flux vocaux des solistes qu’il couve de son regard et de ses gestes enveloppants, chantant même les paroles avec eux. Le cocktail rigueur et générosité teinte de naturel le lyrisme tout en soulignant la religiosité naïve de l’œuvre. La marmite orchestrale flatte les oreilles d’un velouté de cordes, d’un pétillant de bois et d’une ébullition de cuivres.
Le Chœur préparé par Noëlle Gény reste en cuisine, derrière le rideau, et participe au miracle dans une vapeur sonore onctueuse.
Farandole de solistes
Nul besoin de menu, de QR code ni de surtitrage pour profiter de la prosodie du texte en vers tant l’élocution des chanteurs est impeccable. Ils puisent dans des ressources expressives fines afin d’incarner leurs personnages qui n’offrent que peu d’évolution au cours de l’ouvrage.
La soprano Vanina Santoni interprète Grisélidis avec une sincérité touchante. Sa voix ample au médium développé et aux aigus gouleyants surmonte tous les pièges tendus par le malin. Qu’elle entonne l’Élégie désolée (« Il partit au printemps! Voici venir l’automne ») ou qu’elle clame le nom de son fils dans un effroi saisissant, rien ne vient heurter son débit généreux.
A ses cotés, le baryton Thomas Dolié prête sa voix ample et vibrante d’ardeur au personnage du Marquis, son époux. Qu’il succombe, qu’il doute ou qu’il se révolte, l’intensité dramatique pimente en permanence son discours.
L’amour pour Grisélidis de Julien Dran (Alain le berger) est aussi indéfectible que son accroche vocale qui lui permet d’affirmer sa passion dans l’ampleur du son de l’orchestre. Immédiatement sollicité dans l’aigu, le chanteur n’a de cesse de proclamer son amour (« Voir Grisélidis, c’est l’aimer »).
Les interventions truculentes et espiègles du baryton Tassis Christoyannis déclenchent les rires du public. En diable d’opérette il est irrésistible de drôlerie notamment dans son couplet « Loin de sa femme, qu’on est bien ». Il peut également donner de la puissance lors des échanges d’injures avec sa femme, Fiamina interprétée par la soprano Antoinette Dennefeld. Cette dernière lui répond d’une voix ferme et assurée et leur entente en vue d’un mauvais coup se révèle dans la douceur mielleuse des voix.
La mezzo-soprano Adèle Charvet est Bertrade, la suivante de Grisélidis qui tente de divertir sa maîtresse avec, non pas la recette du cake d’amour, mais « En Avignon, pays d’amour » de sa voix ronde et charnue. Si une certaine gouaille accompagne ce chant aux couleurs populaires, son phrasé s’étire dans une délicatesse savoureuse.
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Bien que les interventions des barytons-basses Thibault de Damas en prieur et Adrien Fournaison en Gondebau demeurent succinctes, elle contribuent à l’excellence de la distribution.
L’opéra remporte un vif succès auprès du public qui, repus de musique, ne se presse pas vers les restaurants avoisinants. Il en est empêché également par les trombes d’eau qui l’attendent à la sortie et qui font penser que le temps lui même semble avoir été ébranlé par Grisélidis, à moins que ça ne soit un coup « du diable, du diable, du diable !«