AccueilA la UneBetsy Jolas et la nuit de Mahler

Betsy Jolas et la nuit de Mahler

CONCERT – Le Grand Théâtre de Provence, édifice scénique et lieu de résidence symphonique d’Aix-en-Provence, accueille la phalange londonienne pour un concert monument : une ode à la joie nostalgique de Betsy Jolas et la 7e symphonie de Mahler, longue célébration vespérale. 

« How about another piece ? »

Telle est la question posée par Sir Simon Rattle à la compositrice franco-américaine Betsy Jolas. Sa réponse prend la forme d’une œuvre en forme d’anamnèse, de ressouvenir : Ces belles années… dans laquelle symphonisme et lyrisme se rencontrent, made in Betsy Jolas, pour rire et pour de vrai, en création européenne.  

Betsy Jolas ©Jean-Christophe Marmara

Le premier volet du programme s’insère dans Incises, l’axe créateur du Festival d’Art lyrique, nom féminin provenant du latin « incisa », courte proposition insérée dans une autre, ce qui n’est pas vraiment le cas, ce soir ! L’œuvre est relativement brève, mais rien ne la précède… hormis un riche contexte de réception. L’œuvre se donne ainsi comme une incise dans l’histoire du Festival, que Betsy Jolas fréquente depuis 1948, en tant que membre du public. 

(Not so) Old school

Le langage orchestral sonne beau, radiophonique, celui de la grande époque de l’ORTF et du vinyle. La percussion fait tonner de grandes vibrations, mesurées par la baguette du chef. Les timbales sont tantôt sèches, tantôt luisantes, grâce à la queue de comète des autres percussions, métalliques ou boisées. Les textures se forment et se déforment, s’accrochent et se décrochent, alors que le silence est comme un grand buvard, diversement étoilé de tâches de sons. Le pointillisme l’emporte, tandis que l’énergie galopante de ce concerto d’instruments, appelle les différents pupitres à s’applaudir ou à taper du pied : con las manos ! con los tacos !

La soprano attitrée de Betsy Jolas, Faustine de Monès, s’insère – encore une incise – sur la scène, au deux-tiers de la pièce. « Ma soprano intervient alors comme une sorte d’ange messager », écrit-elle dans sa notice. Comme si elle s’apprêtait à converser avec le chef, elle fait des petits coucous de la main en direction du public et des musiciens, avant d’entonner sa partie. Sa robe écarlate et sa voix puissante, ourlée d’un vibrato de tapis rouge, produisent l’effet escompté : l’éclat de rire, contaminant, à la vitesse du son, l’ensemble des membres de l’orchestre.

Ces Belles années n’étant pas enregistrées encore, voilà une autre pièce récente de Betsy Jolas. C’est cadeau !

Simon Rattle fait un geste inhabituel en direction du public, comme s’il donnait un départ, mais pour signaler la présence de la compositrice, qui est alors encerclée de longs et joyeux applaudissements.

Une Grande Musique de Nuit

Qu’en est-il de ce vis-à-vis avec « le grand Mahler » ? Comment Betsy nous fait-elle d’entendre Gustav, celui de la longue septième symphonie, dite Chant de la nuit, au rire perfide et grinçant ? 

Le symphonisme semble ici travailler à sa propre destruction, toutes les combinaisons instrumentales entrant dans une grotesque Danse des morts (le scherzo central), souligné encore par l’utilisation d’instruments rares – le tenorhorn ou euphonium, de la famille des tubas – ou inattendus – guitare et mandoline. 

« Une nuit tragique, sans étoile ni clair de lune « 

Gustav Mahler, à propos du premier mouvement de sa Symphonie n°7
Sir Simon Rattle ©Getty images
SOS : tonalité en détresse

Simon Rattle, tel un Pierrot lunaire, fait surgir de sa phalange une étrange sérénade. Tout un monde sonore inquiet s’accrochant à ses anciennes et fières fanfares, à ses rengaines obsédantes, à ses zébrants coups de cymbales. Le chef dirige par cœur, se tenant à l’avant d’un grand navire, distribuant, à chaque entrée, des bouées de sauvetage. Il faut sauver la tonalité ! Sa gestuelle trahit cette urgence, toujours contrôlée, la performance étant moins rythmique que dynamique. Si le rythme se compte, la dynamique est pure qualité, affaire de dosage alchimique, quête d’idéal sonore. À cette fin, la battue du chef est d’expression et non de tempo. Il dirige moins avec ses bras qu’avec son visage, ses mimiques minimalistes faisant pantomime.

À lire également : Beethoven et Mahler, le signe de 5

Simon Rattle souligne particulièrement ce qui constitue l’essence de cette musique : son « art de la fugue » – de l’imitation, de l’écho, de la poursuite – que Mahler achemine, dans son ouvrage, de mouvement en mouvement, afin de contenir le chaos et éviter l’engloutissement. Le chef souligne également son « art de la fin », qui, de mouvement en mouvement, entretient le suspense – interruption intempestive, cadence rompue – jusqu’aux grotesques sonneries de cloches finales, tandis que l’espace acoustique se transforme en haut pâturage. 

Il en faut de l’expérience pour mener à bien un tel programme, transformer le plomb en or, l’épaisseur en subtilité, pour faire de la musique l’art, par excellence, de l’autodérision, regard de Janus, porté sur le passé et tourné vers l’avenir.

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]